Giscard d’Estaing « est décédé mercredi 02/12/20 dans sa maison familiale du Loir-et-Cher », a indiqué sa fondation sur Twitter.
« Son état de santé s’était dégradé et il est décédé des suites du #COVID19. Conformément à ses souhaits, ses obsèques se dérouleront dans la plus stricte intimité familiale. »
Bien que Giscard d’Estaing n’ait effectué qu’un seul mandat de président de 1974 à 1981, sa mort marque la fin d’une époque dans la politique française. Élu au pouvoir alors qu’il n’avait que 48 ans, Giscard d’Estaing était le plus jeune dirigeant de la Cinquième République jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron remporte la présidence en 2017 à l’âge de 39 ans.
Pendant ses sept années à l’Élysée, le conservateur Giscard d’Estaing a cultivé une image de réformateur moderne. Pourtant, son impopularité auprès des électeurs français a conduit à l’échec de sa candidature à la réélection contre son rival socialiste François Mitterrand.
Après cette défaite, Giscard d’Estaing est tombé dans l’oubli. Autrefois icône du changement social, il a vite été oublié par le public français. Lors des funérailles de Mitterrand en 1996, un ancien ministre, André Santini, a eu du mal à se rappeler qu’il était encore en vie. « Je ne me souviens pas que nous ayons fait de même pour Giscard », a déclaré Santini.
« Giscard aux commandes »
Des décennies avant que Macron ne fonde son parti La République en Marche (LREM), Giscard d’Estaing était déjà un président « en marche ». Après une campagne présidentielle âprement disputée, Giscard d’Estaing entre dans l’Élysée à pied devant une foule enthousiaste le 27 mai 1974.
« Ce jour marque une nouvelle ère dans la politique française… Je conduirai le changement, mais je ne le conduirai pas seul… J’entends encore les Français qui réclament, qui nous demandent le changement. Ce changement, nous le ferons avec lui, pour lui, dans le respect de son nombre et de sa diversité, et nous le conduirons, en particulier, avec sa jeunesse », a-t-il déclaré dans son discours d’investiture.
Au moment de son élection, Giscard d’Estaing était loin d’être un inconnu, ayant déjà passé près de deux décennies dans les allées du pouvoir. Il a commencé sa carrière politique en 1956 en tant que député.
Jeune, beau et charmant, Giscard d’Estaing a été nommé ministre des finances par le président de l’époque, Charles De Gaulle, un poste qu’il a conservé sous le successeur de De Gaulle, Georges Pompidou.
Après la mort de Pompidou en 1974, Giscard d’Estaing a lancé sa propre candidature à la présidence, se démarquant de ses adversaires par une stratégie de communication innovante et nouvelle : le personal branding. Pour la première fois, le public français découvre les images d’un futur président skiant dans les Alpes, soutenant son équipe de football préférée, jouant de l’accordéon à la télévision ou posant même en maillot de bain. Il a également bénéficié du soutien de célébrités françaises telles que Brigitte Bardot, Johnny Hallyday et Alain Delon, qui arboraient des tee-shirts de campagne et des autocollants portant le slogan populaire : « Giscard à la barre » (« Giscard at the helm »).
Après avoir éliminé le vétéran gaulliste Jacques-Chaban Delmas dès le premier tour, Giscard d’Estaing marque des points auprès des électeurs lors d’un débat de second tour avec Mitterrand lorsque, en réponse à une attaque sur sa politique sociale, il lance une célèbre boutade : « Vous n’avez pas le monopole du cœur ».
Quelques jours plus tard, il remporte de justesse la présidence avec 50,81 % des voix dans ce qui reste à ce jour l’élection la plus serrée de l’histoire de la Cinquième République.
Un président libéral et réformateur
Une fois au pouvoir, Giscard d’Estaing ne perd pas de temps pour poursuivre son ambition de moderniser la société française. « La France doit devenir un grand projet de réforme », déclare-t-il lors de son premier Conseil des ministres.
Très vite, les changements s’enchaînent, parfois même à contre-courant de sa propre majorité conservatrice. Au cours de son administration, Giscard d’Estaing a introduit le divorce par consentement mutuel et a allégé le contrôle du gouvernement sur le secteur audiovisuel. Il préside également à la légalisation de l’avortement, une mesure défendue par sa ministre de la santé, Simone Veil.
Si Giscard d’Estaing réussit à introduire des réformes sociales, il doit faire face à de nombreux défis économiques, notamment une flambée du chômage suite à la crise pétrolière de 1973. En réponse, il nomme l’économiste Raymond Barre comme premier ministre en 1976, inaugurant une période de stricte austérité qui marquera la fin de sa popularité en tant que dirigeant.
Son image est encore plus ternie en octobre 1979 lorsqu’un journal d’investigation français, Le Canard Enchaîné, publie des révélations selon lesquelles l’ancien empereur d’Afrique centrale, Jean-Bédel Bokassa, avait secrètement donné des diamants à Giscard d’Estaing en 1973 alors qu’il était encore ministre des Finances. Le président français a cherché à minimiser le scandale comme n’étant rien de plus qu’un simple cadeau reçu dans l’exercice de ses fonctions officielles et a nié la valeur déclarée des bijoux.
Mais le mal était fait. L’opinion publique se retourne contre Giscard d’Estaing, qui est désormais perçu comme un aristocrate dépassé. Son style de vie fait l’objet de vives critiques, notamment ses origines familiales, ses parties de chasse et son penchant apparent pour les châteaux.
Pour aggraver les choses, son premier et unique mandat est marqué par de profondes divisions au sein de sa base conservatrice. Sa relation avec son premier Premier ministre, Jacques Chirac, qui trouvait Giscard d’Estaing arrogant et snob, en est peut-être la meilleure illustration. La rivalité amère entre les deux hommes a explosé au grand jour après que Chirac ait refusé de soutenir la candidature de Giscard d’Estaing à la réélection en 1981, disant seulement qu’il voterait pour lui « à titre personnel », condamnant essentiellement sa campagne.
Impossible retour
Après sa défaite face à Mitterrand, Giscard d’Estaing est resté humilié. Dans un geste symbolique, il quitte le palais de l’Élysée de la même manière qu’il y est entré, à pied. Mais au lieu d’être acclamé cette fois, il est hué par des manifestants jusqu’à sa voiture.
Sa sortie tragique de la présidence n’en a été que plus marquée par son discours d’adieu télévisé, qui est depuis entré dans la légende française. Giscard d’Estaing s’est adressé solennellement à ses compatriotes, fermement assis à un bureau décoré d’un simple bouquet de fleurs. À la fin du monologue de sept minutes, le président sortant marque une pause significative avant de prononcer un « Au revoir » prononcé. Il se lève ensuite, les deux mains sur le bureau, se tourne et sort à grands pas de la pièce au son d’un enregistrement de l’hymne national français, la Marseillaise, laissant la caméra filmer une chaise vide pendant une minute entière atroce jusqu’à la fin de la chanson.
Malgré sa fin ignominieuse, Giscard d’Estaing refuse de se retirer de la politique française. Espérant repartir de zéro, il se présente et remporte le poste de conseiller général dans la ville centrale de Chamalières en 1982, avant de revenir au parlement deux ans plus tard. A la fin des années 1980, les spéculations allaient bon train sur son retour.
« Je ne veux pas que vous disiez : « Giscard nous a laissé tomber ». Si jamais il y a des circonstances difficiles ou des problèmes graves dans notre pays, vous pouvez toujours compter sur moi », a-t-il déclaré lors d’une apparition télévisée.
Pourtant, ses rêves de retour sur la scène nationale ont finalement été anéantis après que son ancien rival, Chirac, ait arraché le contrôle des conservateurs du pays pour remporter la présidence en 1995.
Advocateur de l’Union européenne
L’un des plus grands héritages de Giscard d’Estaing, cependant, est peut-être sa contribution à la création de l’Union européenne. Défenseur de longue date d’une Europe unie, il a exprimé pour la première fois son soutien à cette idée alors qu’il n’était encore qu’un jeune député européen en 1957.
Sous sa présidence, la France a joué un rôle actif dans l’avancement du projet européen. En décembre 1974, il crée avec Helmut Schmidt, alors chancelier allemand, le Conseil européen, lançant un système monétaire qui servira de précurseur à l’euro. Giscard d’Estaing approuve également l’élection d’un Parlement européen au suffrage direct, ouvrant la voie aux premières élections européennes en 1979.
En 2001, il est nommé président de la Convention constitutionnelle sur l’avenir de l’Europe avec le soutien de Chirac.
Giscard d’Estaing est également à l’origine d’un autre groupe international : le 15 novembre 1975, il réunit les représentants des États-Unis, du Japon, de la France, de l’Allemagne de l’Ouest et du Royaume-Uni au château de Rambouillet, à l’ouest de Paris. Ce sommet marque la première réunion de ce qui deviendra le Groupe des cinq – aujourd’hui le Groupe des sept, ou G7, auquel s’ajoutent l’Italie et le Canada -, une organisation économique intergouvernementale qui se réunit chaque année.
Garde de la langue française
Après s’être retiré de la politique, Giscard d’Estaing se réfugie dans un débouché inattendu : la littérature. Avec le soutien de l’écrivain français Jean d’Ormesson, il est élu en 2004 à l’Académie française, qui a pour mission de sauvegarder la langue française.
Son adhésion à l’Académie semblait initialement avoir une motivation autant politique que littéraire. Jusqu’alors, l’œuvre de Giscard d’Estaing se composait essentiellement d’essais politiques et de mémoires, à l’exception notable d’un roman semi-érotique intitulé « Le Passage », qui raconte une histoire d’amour entre un notaire et un auto-stoppeur.
En 2009, il s’essaie à nouveau à l’écriture avec « La Princesse et le Président » (« The Princesse and the President »), qui détaille la relation entre deux personnages qui ressemblent beaucoup à la défunte princesse Diana et à lui-même. Le livre a ravivé des rumeurs longtemps endormies sur une possible liaison, malgré l’insistance de Giscard d’Estaing à dire qu’il avait « tout inventé ».
En 2012, un Giscard d’Estaing vieillissant a averti le président de l’époque, François Hollande : « Je pourrais mourir pendant votre présidence. »
« Je ne veux pas de cérémonie officielle, ni d’hommage d’État », a-t-il ajouté, pour être rassuré par Hollande que ses souhaits seraient respectés.
Peut-être que Giscard d’Estaing espérait quitter cette vie aussi simplement qu’il est arrivé à l’Élysée, il y a presque 50 ans.