par Howard Pyle
Le livre du roi Arthur
Dans les temps anciens vivait un roi très noble, nommé Uther-Pendragon, et il devint le suzerain de toute la Grande-Bretagne. Ce roi a été très grandement aidé dans l’accomplissement de la Pendragonship du royaume par l’aide de deux hommes, qui lui ont rendu une grande assistance dans tout ce qu’il a fait. L’un de ces hommes était un certain enchanteur très puissant et parfois prophète, connu des hommes sous le nom de Merlin le Sage, et il a donné de très bons conseils à Uther-Pendragon. L’autre homme était un excellent noble et chevalier renommé, hight Ulfius (qui était considéré par beaucoup comme le plus grand chef de guerre de tous les hommes alors en vie) ; et il donna à Uther-Pendragon aide et conseils au combat. Ainsi, avec l’aide de Merlin et de Sir Ulfius, Uther-Pendragon fut capable de vaincre tous ses ennemis et de devenir le roi de tout le royaume.
Après qu’Uther-Pendragon ait gouverné son royaume pendant un certain nombre d’années, il prit pour épouse une certaine belle et douce dame, hight Igraine. Cette noble dame était veuve de Gerlois, duc de Tintegal, prince dont elle eut deux filles, l’une nommée Margaise et l’autre Morgane le Fey. Et Morgane le Fey était une célèbre sorcière. Ces filles, la reine les emmena avec elle à la cour d’Uther-Pendragon après avoir épousé ce puissant roi, et là Margaise fut mariée au roi Urien de Gore, et Morgane le Fay fut mariée au roi Lot d’Orcades.
Mais après quelque temps Uther-Pendragon et la reine Igraine eurent un fils qui leur naquit, et il était très beau et d’une grande taille et force d’os. Et tandis que l’enfant était encore enveloppé dans ses langes et couché dans un berceau d’or et d’outremer, Merlin vint à Uther-Pendragon avec un esprit de prophétie fort sur lui (car tel était souvent le cas avec lui), et, parlant dans cet esprit de prophétie, il dit : « Seigneur, il m’est donné de prévoir que tu tomberas bientôt malade d’une fièvre et que tu mourras peut-être d’une sueur violente qui s’ensuivra. Si un tel malheur devait nous arriver à tous, ce jeune enfant, qui est certes l’espoir de tout ce royaume, serait en très grand danger de mort, car de nombreux ennemis se lèveraient certainement pour s’emparer de lui au nom de son héritage, et soit il serait tué, soit il serait tenu en captivité, ce dont il ne pourrait guère s’échapper. C’est pourquoi je vous supplie, Seigneur, de nous permettre, à Sir Ulfius et à moi-même, de transporter actuellement l’enfant vers quelque lieu de refuge sûr, où il pourra être caché en secret jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte et qu’il soit capable de se prémunir contre les dangers qui peuvent le menacer. »
Quand Merlin eut fini de parler ainsi, Uther-Pendragon répondit avec un visage très ferme dans ce sens : « Merlin, en ce qui concerne ma mort, lorsque mon heure sera venue, je crois que Dieu me fera la grâce d’affronter ma fin avec une entière gaieté ; car, certes, mon sort n’est pas différent de celui de tout autre homme né d’une femme. Mais en ce qui concerne ce jeune enfant, si ta prophétie est vraie, son danger est très grand, et il serait bon qu’il soit transporté en quelque lieu sûr, comme tu le recommandes. C’est pourquoi je te prie d’accomplir ta volonté dans cette affaire, en gardant dans ton cœur la considération que l’enfant est l’héritage le plus précieux que je laisserai à ce pays. »
Tout cela, comme il a été dit, Uther-Pendragon parlait avec un grand calme et une grande équanimité d’esprit. Et Merlin fit ce qu’il avait conseillé, et lui et Sir Ulfius transportèrent l’enfant de nuit, et personne sauf eux ne savait où le bébé avait été emmené. Et peu de temps après, Uther-Pendragon fut saisi de la maladie que Merlin avait prédite, et il mourut exactement comme Merlin avait craint qu’il ne meure ; c’est pourquoi il était très bien que l’enfant ait été emmené en lieu sûr.
Et après qu’Uther-Pendragon eut quitté cette vie, il en fut de même que Merlin l’avait craint, car tout le royaume tomba dans un grand désordre. En effet, chaque petit roi se disputait la seigneurie avec son compagnon, et de méchants chevaliers et barons harcelaient les routes, et levaient avec une grande cruauté des péages sur les voyageurs sans défense. Ils faisaient prisonniers certains de ces voyageurs et les retenaient pour obtenir une rançon, tandis que d’autres étaient tués parce qu’ils n’avaient pas de rançon à payer. Il était donc très fréquent de voir un homme mort sur le bord de la route, si vous vous aventuriez à faire un voyage pour une affaire ou une autre. Ainsi il arriva qu’au bout d’un certain temps, tout ce pays doloriste gémit du trouble qui l’accablait.
C’est ainsi qu’il s’écoula près de dix-huit ans dans cette grande affliction, puis un jour l’archevêque de Canterbury fit venir Merlin auprès de lui et l’assaillit de cette manière : « Merlin, on dit que tu es l’homme le plus sage du monde. Ne peux-tu pas trouver un moyen de guérir les distractions de ce malheureux royaume ? Penche ta sagesse sur cette affaire et choisis-toi un roi qui sera un bon suzerain pour nous, afin que nous puissions jouir à nouveau du bonheur de la vie comme aux jours d’Uther-Pendragon. »
Alors Merlin leva son regard sur l’archevêque, et parla ainsi : « Mon seigneur, l’esprit de prophétie qui repose sur moi me pousse parfois à dire que je perçois que ce pays aura bientôt un roi qui sera plus sage, plus grand et plus digne de louanges que ne l’était même Uther-Pendragon. Et il apportera l’ordre et la paix là où règnent actuellement le désordre et la guerre. De plus, je peux vous dire que ce roi sera du plein sang d’Uther-Pendragon. »
À cela, l’archevêque répondit : « Ce que tu me dis, Merlin, est une chose merveilleusement étrange. Mais dans cet esprit de prophétie, ne peux-tu pas prédire quand ce roi viendra ? Et peux-tu nous dire comment nous le reconnaîtrons lorsqu’il apparaîtra parmi nous ? Car il y a beaucoup de petits rois qui voudraient être les maîtres de ce pays, et il y en a beaucoup qui se croient aptes à régner sur tous les autres. Comment donc reconnaîtrons-nous le vrai roi de ceux qui peuvent se proclamer roi légitime ? »
« Monseigneur l’Archevêque, dit Merlin, si j’ai ta permission pour exercer ma magie, j’organiserai une aventure qui, si un homme la réussit, le monde entier saura aussitôt qu’il est le roi légitime et le suzerain de ce royaume. » Et l’Archevêque dit : « Merlin, je te demande de faire tout ce qui te semble juste dans cette affaire ». Et Merlin dit : « Je le ferai. »
Alors Merlin provoqua par magie qu’une énorme pierre de marbre, de quatre carrés, apparaisse soudainement dans un endroit ouvert devant la porte de la cathédrale. Et sur ce bloc de marbre, il fit qu’il y ait une enclume et dans l’enclume, il fit qu’il y ait une grande épée nue enfoncée à mi-chemin de la lame. Et cette épée était la plus merveilleuse qu’aucun homme ait jamais vue, car la lame était d’acier bleu, extraordinairement brillante et étincelante. Et la poignée était d’or, ciselée et sculptée avec une merveilleuse astuce, et incrustée d’un grand nombre de pierres précieuses, de sorte qu’elle brillait d’un éclat merveilleux à la lumière du soleil. Et autour de l’épée étaient écrits ces mots en lettres d’or :-
« Celui qui arrache cette épée de l’enclume
Celui-là est le roi juste-né d’Angleterre. »
Ainsi, un grand nombre de personnes vinrent contempler cette épée et s’en émerveillèrent extrêmement, car on n’en avait jamais vu de semblable sur la terre.
Alors, quand Merlin eut accompli ce miracle, il demanda à l’archevêque de convoquer tous les principaux personnages de ce pays à la fête de Noël ; et il demanda à l’archevêque d’ordonner que chacun fasse l’assaut pour tirer l’épée, car celui qui réussirait à la tirer de l’enclume serait à juste titre roi de Bretagne.
Alors l’archevêque fit selon ce que Merlin avait dit ; et ce fut la merveille de la pierre de marbre et de l’enclume, de laquelle même chacun peut facilement lire pour lui-même dans ce livre écrit il y a très longtemps par Robert de Boron, qui s’appelle Le Roman de Merlin.
Or, quand le mandat du seigneur archevêque fut lancé, convoquant tous les principaux du pays à l’assay de ce miracle (car, en effet, c’était un miracle de tirer une lame d’épée d’une enclume de fer solide), tout le royaume fut aussitôt jeté dans une grande effervescence, de sorte que chacun demandait à son compagnon : « Qui tirera cette épée, et qui sera notre roi ? » Les uns pensaient que ce serait le roi Lot, et les autres que ce serait le roi Urien de Gore (ceux-ci étant les gendres d’Uther-Pendragon) ; les uns pensaient que ce serait le roi Léodegrance de Camiliard, et les autres que ce serait le roi Ryence du Nord du Pays de Galles ; les uns pensaient que ce serait ce roi, et les autres que ce serait ce roi ; car tout le monde était divisé en différents partis qui pensaient selon leur goût.
Puis, à l’approche de la fête de Noël, il sembla actuellement que le monde entier se dirigeait vers Londres, car les routes et les chemins de traverse se remplirent de voyageurs – rois et seigneurs et chevaliers et dames et écuyers et pages et hommes d’armes – tous se rendant là où l’on devait faire l’essai de cette aventure de l’épée et de l’enclume. Toutes les auberges et tous les châteaux étaient remplis de voyageurs au point que l’on s’étonnait de pouvoir contenir autant de monde dans leur périmètre, et partout des tentes et des pavillons étaient dressés au bord des chemins pour loger ceux qui ne pouvaient trouver refuge à l’intérieur des portes.
Mais quand l’archevêque vit les multitudes qui s’assemblaient, il dit à Merlin : « En effet, Merlin, ce serait une chose bien singulière si, parmi tous ces grands rois et ces nobles et honorables seigneurs, nous ne devions pas trouver quelqu’un digne d’être le roi de ce royaume. »
A quoi le Merlin sourit et dit : « Ne vous étonnez pas, monseigneur, si parmi tous ceux qui paraissent si extraordinairement dignes, il ne se trouve pas un qui soit digne ; et ne vous étonnez pas si, parmi tous ceux qui sont inconnus, il s’élève un qui s’apprête à être entièrement digne. »
Et l’archevêque réfléchit aux paroles de Merlin, et c’est ainsi que commence cette histoire.