L’empoisonnement aux rodenticides : Que faire après une exposition

Camille DeClementi, VMD, Diplomate ABT & ABVT

Bien que l’empoisonnement aux rodenticides anticoagulants soit dangereux pour le patient et effrayant pour le propriétaire, il existe de nombreux points positifs lors de la gestion de l’exposition à ce produit chimique antiparasitaire.

  • Puisque les signes cliniques ne se développent pas avant 3 à 5 jours, le clinicien a souvent suffisamment de temps pour initier un traitement avant que les signes ne se développent.
  • Le test du temps de prothrombine (PT) peut être utilisé pour décider si un traitement est nécessaire et combien de temps le poursuivre.
  • Le facteur le plus important en ce qui concerne une issue positive est qu’il existe un véritable antidote, la vitamine K1.

Le clinicien doit garder à l’esprit qu’il est très important de vérifier l’ingrédient actif du produit rodenticide car il existe de multiples types de rodenticides et la couleur ou la forme de l’appât n’est pas codée à un type spécifique de rodenticide. En outre, de nombreux propriétaires d’animaux peuvent utiliser le terme d-CON (rb.com) pour désigner tout rodenticide, quel que soit le nom de marque ou le type.

Au delà des rodenticides anticoagulants

Dans le passé, la plupart des patients étaient exposés à des rodenticides anticoagulants. Cependant, les cliniciens peuvent s’attendre à voir une augmentation du nombre de cas de brométhaline et de cholécalciférol vus dans leurs cabinets en raison de la réglementation de l’Agence de protection de l’environnement entrée en vigueur en juin 2011, qui limite la vente de rodenticides anticoagulants de deuxième génération sur le marché grand public.

PATIENTS ASYMPTOMATIQUES

Décontamination

Pour les patients qui ont récemment ingéré un rodenticide anticoagulant, le clinicien doit envisager de réaliser une décontamination. Les cliniciens choisissent le plus souvent de provoquer des vomissements.

  • Si le patient a ingéré des granulés d’appât, les vomissements sont susceptibles d’être efficaces jusqu’à 4 heures.
  • Les formes de barres d’appât peuvent rester dans l’estomac pendant une période plus longue, permettant des vomissements efficaces jusqu’à 8 heures après l’ingestion.

Si le vomissement est infructueux ou contre-indiqué par des conditions sous-jacentes, comme les patients gravement brachycéphales et ceux présentant des troubles convulsifs ou une maladie cardiovasculaire importante, le clinicien peut plutôt administrer une dose de charbon actif avec un cathartique.

Pour les patients présentés plus de 8 heures après l’ingestion, le vomissement ou le charbon actif a peu de chances d’être efficace.

Traitement &Surveillance

Après avoir décidé si la décontamination est justifiée, le clinicien doit alors choisir soit :

  1. Commencer un traitement prophylactique par la vitamine K1 ou
  2. Surveiller le TP et n’administrer la vitamine K1 que si le TP devient élevé (voir Comment fonctionne la vitamine K1).

Traitement prophylactique par la vitamine K1

  • Dose : la vitamine K1 doit être administrée à raison de 3 à 5 mg/kg PO divisés Q 12 H avec un repas gras pour améliorer l’absorption.
  • Durée d’administration :
    • Anticoagulants à action rapide (warfarine et pindone) : 14 jours
    • Bromadiolone : 21 jours
    • Anticoagulants de deuxième génération (dipha-cinone, diféthialone, chlorophacinone, brodifacoum) : 4 semaines
  • Mises en garde : Pour éviter une réaction anaphylactique, la vitamine K1 ne doit pas être administrée par voie IV ; des réactions anaphylactiques peuvent également se produire lorsqu’elle est administrée par voie IM ou SC. L’administration orale est idéale car la vitamine K1 est délivrée directement au foie où les facteurs de coagulation sont activés par la circulation portale.
  • Surveillance : Il est conseillé de vérifier le TP de 48 à 72 heures après la dernière dose de vitamine K1 ; si le TP est toujours augmenté, continuer la vitamine K1.

Surveillance du temps de prothrombine

Si le clinicien décide de surveiller le TP, une ligne de base doit être effectuée, puis répétée 48 et 72 heures après l’exposition. Le TP de base est très important car il détermine le degré, le cas échéant, d’exposition aux rodenticides anticoagulants.

Aucun traitement n’est nécessaire si le TP reste normal après 72 heures. Cependant, toute élévation du TP justifie un traitement par la vitamine K1 (voir Traitement prophylactique par la vitamine K1).

Le clinicien doit se rappeler que l’administration de vitamine K1 peut entraîner des valeurs de TP normales car la synthèse de nouveaux facteurs de coagulation ne nécessite que 6 à 12 heures. Par conséquent, si le TP est surveillé, aucune vitamine K1 ne doit être administrée.

Comment agit la vitamine K1

Les rodenticides anticoagulants agissent en interférant avec la production des facteurs de coagulation II, VII, IX et X. Au cours de la production normale de ces facteurs, la vitamine K1 est convertie en vitamine K1 époxyde. L’enzyme vitamine K1 époxyde réductase reconvertit ensuite la vitamine K1 époxyde en la forme active de la vitamine K1. Ce cycle se répète continuellement pour créer des facteurs de coagulation actifs.les anticoagulants inhibent la vitamine K1 époxyde réductase, ce qui entraîne une déplétion de la vitamine K1 active et stoppe la production de facteurs de coagulation actifs. Le facteur VII est le premier facteur de coagulation affecté car il a la demi-vie la plus courte. La déplétion du facteur VII entraîne une élévation du TP. SI une dose toxique de rodenticide a été consommée, le TP devient élevé dans les 36 à 72 heures suivant l’ingestion.

PATIENTS SYMPTOMATIQUES

Pour les patients qui saignent activement à la présentation, la stabilisation est d’une importance critique. Les mesures de décontamination ne sont pas appropriées chez le patient symptomatique puisque l’exposition aurait eu lieu 3 à 5 jours auparavant.

Signes cliniques

Il est important de se rappeler que le saignement peut se produire n’importe où dans le corps et que de nombreux animaux empoisonnés ne sont pas présentés au vétérinaire jusqu’à ce que les signes cliniques se développent.

  • De nombreux patients présentent des signes vagues de léthargie, de faiblesse et d’anémie.
  • Les signes cliniques courants sont la dyspnée, la toux et l’hémoptysie due à un saignement dans l’espace pleural et/ou une hémorragie pulmonaire.
  • La constriction trachéale due à une hémorragie thymique, péritrachéale ou laryngée peut également entraîner une dyspnée sévère.
  • Les saignements dans d’autres cavités corporelles, telles que l’abdomen et les articulations, sont également fréquents.
  • Distension abdominale, boiterie, ecchymoses, hématomes ou sons cardiaques étouffés sont possibles.
  • Certains animaux peuvent présenter une hémorragie externe franche provenant de sites chirurgicaux ou traumatiques, du tractus gastro-intestinal ou des orifices.
  • L’hémorragie dans le cerveau ou la moelle épinière peut entraîner de graves perturbations du système nerveux central, y compris des convulsions, une parésie, une paralysie ou une mort aiguë.

Diagnostics

Le clinicien doit d’abord déterminer l’ampleur de la perte de sang du patient. Les résultats de l’examen physique couplés au volume globulaire (VGP)/solides totaux (TS), à un profil de coagulation (si possible) et éventuellement à des radiographies thoraciques et/ou abdominales ou à une échographie aideront le clinicien à décider du meilleur traitement.

Stabilisation

Une hémorragie importante, en particulier dans un endroit non compressible, comme l’espace pleural, le cerveau ou l’abdomen, doit être traitée en fournissant des facteurs de coagulation avec du plasma ou du sang entier frais. Le sang total est préférable en cas d’anémie marquée (PCV < 25%). Cependant, le plasma frais, le plasma frais congelé ou le plasma pauvre en cryoprécipité peuvent être utilisés.

Administration

  • Le plasma doit être administré à raison de 10 ml/kg pendant 1 à 4 heures et répété 2 à 3 fois si nécessaire.
  • Si le sang total frais est choisi, un groupage sanguin et une épreuve de compatibilité croisée doivent être effectués avant la transfusion. Il doit être administré à raison de 6 à 10 ml/kg et répété 2 à 3 fois si nécessaire.
  • Le débit initial de transfusion de sang total frais doit être lent (0,25 ml/kg/H) pendant les 15 premières minutes tout en surveillant l’apparition d’une réaction transfusionnelle. Ce débit initial lent peut ne pas être possible chez les patients présentant une hémorragie mettant immédiatement leur vie en danger.

Autotransfusion

Si des produits de sang total ou de plasma ne sont pas immédiatement disponibles et que le patient présente une hémorragie mettant sa vie en danger dans la cavité thoracique ou abdominale, une autotransfusion peut être réalisée. Cela remplacera la capacité de transport d’oxygène pendant qu’une source de facteurs de coagulation est trouvée.

Stabilisation supplémentaire

  • Des fluides cristalloïdes IV peuvent être nécessaires pour maintenir le soutien cardiovasculaire.
  • Plusieurs patients auront besoin d’oxygène supplémentaire.
  • Une thoracocentèse peut être effectuée si l’hémothorax nuit à l’oxygénation et à la ventilation ; cependant, le remplacement des facteurs de coagulation doit se faire d’abord pour prévenir une nouvelle hémorragie due à la procédure.

Top 10 Pet Toxins

  1. Médicaments humains (par exemple, ibuprofène, acétaminophène, antidépresseurs, médicaments contre le TDAH)
  2. Insecticides
  3. Rodenticides
  4. Aliments humains (par exemple, xylitol, raisins, raisins secs, oignons, ail)
  5. Médicaments vétérinaires
  6. Chocolat
  7. Toxines domestiques (ex : eau de javel, détergents, pot-pourri liquide, piles)
  8. Plantes (ex, lys, palmiers sagoutiers)
  9. Herbicides
  10. Toxines extérieures (ex : antigel, engrais, glace fondante)

Courtesy ASPCA Poison Control Center

Diagnostics supplémentaires

Si ce n’est pas déjà fait, un profil de coagulation doit être réalisé une fois que les mesures de stabilisation ont eu lieu, de préférence avec un échantillon de sang prélevé avant le début de la transfusion.

  • Si le patient saigne activement à cause d’un rodenticide anticoagulant, le TP doit être prolongé.
  • Des élévations du temps de thromboplastine partielle activée (TCA) et du temps de coagulation activé (TCA) peuvent également être présentes.
  • Les autres anomalies pathologiques cliniques attendues comprennent l’anémie, la thrombocytopénie, l’hypoprotéinémie et, si le saignement affecte le système respiratoire, des diminutions du CO2 et de la pO2 (pression partielle de l’oxygène).

Traitement

Une fois stabilisé, le patient doit recevoir de la vitamine K1 à raison de 3 à 5 mg/kg PO divisés Q 12 H administrés avec un repas gras pour faciliter l’absorption. Une fois la vitamine K1 supplémentée, il faut au moins 6 heures au patient pour régénérer les facteurs de coagulation.

Le patient doit être hospitalisé jusqu’à ce que le TP soit normal. Lorsque le patient sort de l’hôpital, le traitement par la vitamine K1 doit être poursuivi pendant les délais indiqués dans la rubrique Patients asymptomatiques. Le TP doit être vérifié de 48 à 72 heures après la dernière dose de vitamine K1, qui peut être interrompue si le TP est normal. Si le temps de Quick est augmenté, le traitement par la vitamine K1 doit être repris pendant 2 à 3 semaines, puis le temps de Quick doit être revérifié. Le propriétaire doit limiter l’exercice pendant cette période.

Si possible, éviter l’utilisation d’autres médicaments fortement liés aux protéines pendant le traitement.

Prognostic

Le pronostic dépend de la gravité et de la localisation du saignement. Par exemple, un patient qui a saigné dans le cerveau et qui a présenté des convulsions aura un pronostic beaucoup plus réservé qu’un patient qui a saigné dans une articulation et qui a présenté une boiterie.

TAPTT = temps de thromboplastine partielle activée;
ACT = temps de coagulation activée;
PCV = packed cell volume;
PT = temps de prothrombine ; TS = total des solides

Lecture suggérée

  • Merola V. Anticoagulants rodenticides : Mortels pour les nuisibles, dangereux pour les animaux de compagnie. Vet Med 2002 ; 97:716-722.
  • Sheafor SE, Couto CG. Approche clinique d’un chien présentant une intoxication aux rodenticides anticoagulants. Vet Med 1994 ; 94:466-471.

Camille DeClementi, VMD, Diplomate ABT & ABVT, est la directrice principale des dossiers médicaux de l’American Society for the Prevention of Cruelty to Animals (ASPCA). Elle supervise la qualité, la cohérence et l’intégrité des dossiers médicaux pour les programmes suivants de l’ASPCA : le centre antipoison pour animaux, le Bergh Memorial et les programmes de stérilisation. Le Dr Clementi assure également la formation du personnel et est le porte-parole du Centre antipoison pour animaux auprès des médias. En plus de donner des conférences sur diverses questions de toxicologie vétérinaire clinique, elle est journaliste vétérinaire certifiée (CVJ) et a rédigé des articles évalués par des pairs pour le Journal of Veterinary Emergency and Critical Care et Veterinary Medicine. Le docteur DeClementi a obtenu son diplôme de vétérinaire à l’université de Pennsylvanie. Elle a pratiqué la médecine d’urgence et la médecine générale à Pittsburgh et dans le Tennessee et a été copropriétaire de la clinique d’urgence pour animaux à Campagne, dans l’Illinois, avant d’occuper son poste actuel.

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