L’amiodarone(Cordarone) est un médicament couramment prescrit pour le traitement des arythmies tant auriculaires que ventriculaires. Malheureusement, lorsque l’amiodarone est administré à un patient euthyroïde (fonction thyroïdienne normale), le processus physiologique normal de formation des hormones thyroïdiennes, la thyroxine (T4) et la 3,5,3′-triiodothyronine (T3), peut être affecté. Les étapes générales de la production normale d’hormones thyroïdiennes sont les suivantes (par ex, un patient en état d’euthyroïdie qui n’est pas sous amiodarone) : L’hormone de libération de la thyroïde (TRH) est sécrétée par l’hypothalamus pour stimuler l’hypophyse antérieure à libérer la thyréostimuline (TSH) ; la TSH se rend ensuite dans la glande thyroïde où elle provoque une augmentation de la production de thyroglobuline et de l’enzyme peroxydase thyroïdienne ; l’iodure ingéré à partir d’aliments ou d’eau pénètre dans la cellule du follicule thyroïdien par le cotransporteur Na/I ; une fois que l’iodure se trouve dans la cellule du follicule thyroïdien, il est transporté dans la lumière folliculaire par le transporteurpendrine. L’iodure est oxydé par la peroxydase thyroïdienne en iode qui est ensuite capable d’ioder les résidus de tyrosine dans la thyroglobuline pour former de la monoiodotyrosine et de la diiodotyrosine. Cesproduits se combinent pour former la T4 et la T3 et subissent ensuite une protéolyse et une exocytose pour la sécrétion et le recyclage.
Comment l’amiodarone influence-t-elle la fonction thyroïdienne ?
L’influence de l’amiodarone sur la production et la sécrétion de la T4 et de la T3 estmultifactorielle. Le plus important est que chaque comprimé de 200 mg d’amiodarone contient 74,4 mg (37,3 %) d’iode en poids, dont 7,4 mg (10 %) par jour sont libérés sous forme d’iode libre.3 Ce chiffre est environ 50 fois supérieur à l’apport quotidien recommandé en iode pour les adultes, qui est d’environ 0,15 mg (150 mcg).4 L’utilisation de l’amiodarone au cours des trois premiers mois entraîne une augmentation de la libération et de l’absorption d’iode, ce qui peut accroître la production et la libération d’hormones thyroïdiennes. Il s’agit d’une condition appelée thyrotoxicose induite par l’amiodarone de type I (hyperthyroïdie).5-7 La thyrotoxicose induite par l’amiodarone de type I(AIT) est plus susceptible de se produire chez les patients qui vivent dans des zones de faible absorption d’iode ou qui ont une certaine forme de maladie thyroïdienne sous-jacente (comme le goitre multinodulaire, la maladie de Grave latente, etc.) où l’exposition à l’iode pourrait éventuellementdéclencher la production d’hormones thyroïdiennes.8
En outre, l’administration chronique (environ > 3 mois) d’amiodarone peut entraîner une exposition/accumulation excessive d’iode qui peut provoquer, une ITA de type II. Cette forme d’hyperthyroïdie est différente du type I en ce sens qu’elle est associée à une destruction réelle du tissu thyroïdien, à une inflammation/fibrose et finalement à une réduction de la vascularisation de la thyroïde.7,9-11 L’endommagement ou la destruction des cellules folliculaires thyroïdiennes peut entraîner la libération non régulée d’hormones thyroïdiennes préformées dans la circulation. La plus grande préoccupation au cours de la thyrotoxicose est le développement de la fibrillation auriculaire, qui, comme nous l’avons noté plus haut, peut avoir été la raison de l’initiation de l’amiodarone.Pour compliquer encore les choses, de nombreux patients qui développent une TIA de type II finiront également par développer une hypothyroïdie ultérieure8.
Quelle est l’incidence de la thyrotoxicose induite par l’amiodarone et quels sont les paramètres de surveillance à envisager ?
L’incidence de l’AIT a été rapportée comme étant de 2 à 5,3%.1,2 Par conséquent, avant l’instauration d’un traitement par amiodarone, les patients doivent subir au moins un dosage de base de la TSH (et éventuellement un dosage de la T4 ou de la T3 libre) et ces dosages doivent être répétés au moins tous les 6 à 12 mois par la suite ou en fonction de l’émergence de symptômes d’hyperthyroïdie. Malheureusement, les tests de laboratoire de la fonction thyroïdienne ne permettent pas de distinguer l’ACI de type I de l’ACI de type II.8 En général, les patients atteints d’ACI présentent une TSH basse, les taux de T4 libre sont normaux ou élevés et les taux de T3 sont normaux ou élevés.8 Bien qu’ils ne soient pas systématiquement vérifiés dans cette situation, les auto-anticorps thyroïdiens sont absents, sauf si le patient souffre d’une maladie de Basedow sous-jacente. L’apparition de l’hyperthyroïdie induite par l’amiodarone se produit généralement dans les 18 premiers mois.12
Si un patient développe une thyrotoxicose induite par l’amiodarone, quelles sont les options thérapeutiques à envisager ?
Chez les patients qui développent une TIA de type I, il est recommandé d’interrompre l’amiodarone si possible8. De plus, l’utilisation de médicaments antithyroïdiens (tels que le méthimazole ou le propylthiouracile), de perchlorate (non disponible aux États-Unis) et de lithium peut également être envisagée.8,13,14 Alors que dans l’ACI de type II, l’arrêt de l’amiodarone peut ne pas être essentiel et l’utilisation de stéroïdes (comme la prednisone) est recommandée.7,15,16 Bien que nous n’ayons pas connaissance de preuves à l’appui, il est plausible que chez les patients où l’amiodarone a été initié pour une fibrillation auriculaire, l’amiodarone puisse être remplacé par la dronédarone. Quoi qu’il en soit, puisqu’il est difficile de distinguer cliniquement le type I du type II, certains ont recommandé la coadministration de 40 mg de méthimazole par jour avec 40 mg de prednisone par jour pendant un maximum de 1 à 2 mois, en fonction de la réponse.17 Si aucune réponse n’est observée avec ce qui précède, une thyroïdectomie peut être indiquée.
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