Le conte du marchand

Januarie décide qu’il veut se marier, principalement pour avoir des relations sexuelles récréatives licites et pour produire un héritier, et il consulte ses deux amis, Placebo (signifiant –  » je plairai « ), qui tout en l’encourageant ne lui offre aucun avis personnel, et Justinus (signifiant –  » le juste « ), qui s’oppose au mariage à partir de sa propre expérience. Januarie, un homme vaniteux, n’entend que les flatteries de son ami Placebo, qui le flatte.

Januarie épouse May, une jeune femme de moins de 20 ans, en grande partie par convoitise et sous couvert d’acceptabilité religieuse. Il la choisit apparemment spontanément après avoir dit à tous ses amis d’aller lui chercher une épouse. On ne sait pas pourquoi May accepte Januarie ; cependant, on peut supposer qu’elle l’a fait pour une amélioration sociale et peut-être une sorte d’héritage, Januarie étant un homme riche.

Un écuyer de la cour de Januarie, appelé Damyan, tombe amoureux de May et lui écrit une lettre dans laquelle il avoue ses désirs : la déesse Vénus l’a  » blessé avec hire brond  » lors de la fête de mariage – ce qui signifie qu’elle a mis son cœur en feu par amour. Il pourrait s’agir simplement d’une personnification de Damyan tombant amoureux, mais comme Pluton et Proserpine interviennent physiquement plus tard, l’amour de Damyan pourrait être considéré comme entièrement induit par Vénus. May éprouve une attirance réciproque et complote pour avoir des relations sexuelles avec lui. Januarie crée un magnifique jardin clos, rappelant le jardin d’Eden ainsi que la poésie de l’amour courtois, où lui et May font « des choses qui ne se faisaient pas au lit ». Immédiatement après, Januarie est frappé de cécité, sans que l’on sache pourquoi, mais Chaucer suggère que sa vanité, sa luxure et son immoralité générale l’ont rendu aveugle de corps et de jugement moral. Cette infirmité, cependant, sert spirituellement Januarie. Son langage et son caractère, autrefois obscènes et répugnants, deviennent une belle et douce poésie d’amour, et l’on peut voir son amour pour May évoluer vers plus que de la simple luxure et du désir. Le 8 juin, Januarie et May entrent dans un jardin qu’il a construit pour elle. Pendant ce temps, Damyan s’est faufilé dans le jardin à l’aide d’une clé qu’il a fabriquée à partir d’un moule que May lui a donné et attend May dans un poirier, symbolisant, a-t-on dit, le fruit défendu de la Genèse.

May, laissant entendre qu’elle est enceinte et qu’elle a envie d’une poire, en demande une de l’arbre et Januarie, vieille et aveugle, et donc incapable de l’atteindre, est persuadée de se baisser et de permettre à May de monter elle-même sur son dos. Ici, Chaucer évoque un énorme pathos pour la Januarie « houphouétiste et aveugle », qui va bientôt être cocufiée par une femme manipulatrice, une inversion claire de la figure horrible et repoussante peinte par le narrateur dans la première présentation de l’homme. Dans l’arbre, May est rapidement accueillie par son jeune amant Damyan, et ils commencent à avoir des rapports sexuels, décrits par le marchand d’une manière particulièrement obscène et audacieuse :  » Et sodeynly anon ce Damyan / Gan pullen up the smok, and in he throng « . En effet, le narrateur s’excuse de cette description explicite, s’adressant aux pèlerins en disant :  » Ladyes, I prey yow that ye be nat wrooth ; I kan nat glose, I am a rude man –‘

Deux dieux sont, à ce moment, en train d’observer l’adultère : le mari et la femme Pluton et Proserpine. Ils entament une discussion passionnée sur la scène, dans laquelle Pluton condamne la moralité des femmes. Il décide qu’il rendra la vue à Januarie, mais que Proserpina accordera à May la possibilité de se sortir de la situation par la parole :  » Je jure / Que j’engagerai même une réponse suffisante / Et toutes les femmes après, pour elle ; / Que, même si elles s’excusent elles-mêmes, / Et qu’elles se moquent de celles qui les excuseraient, / Car faute de réponse, elles ne pourront rien faire.En effet, la promesse de Proserpine selon laquelle  » toutes les femmes d’après  » devraient pouvoir s’excuser facilement de leur trahison, peut être considérée comme un commentaire clairement misogyne de la part du narrateur, ou peut-être même de Chaucer lui-même. La présentation de ces deux personnages et de leur querelle cristallise de nombreux aspects du conte, à savoir la dispute entre l’homme et la femme et la confusion religieuse dans le conte, qui invoque à la fois les dieux classiques et les dieux chrétiens. En effet, la présence de dieux particuliers a une pertinence individuelle lorsqu’elle est liée à ce conte : comme le raconte le mythe classique, Proserpine, une jeune déesse très aimée, a été volée et retenue captive par Pluton, le roi des Enfers, qui l’a forcée à l’épouser.

Januarie recouvre la vue – via l’intervention de Pluton – juste à temps pour voir sa femme et Damyan engagés dans un rapport sexuel, mais May réussit à le convaincre que sa vue le trompe parce qu’elle vient tout juste d’être restaurée et qu’elle ne fait que  » lutter avec un homme  » parce qu’on lui a dit que cela lui rendrait la vue.

Le conte se termine de manière plutôt inattendue : Januarie et May, dupés, continuent à vivre heureux. Cependant, Chaucer ne termine pas le conte de manière entièrement heureuse : une suggestion plus sombre est là, lorsque May dit à Januarie qu’il pourrait se tromper en de nombreuses autres occasions ( » Ther may ful many a sighte yow bigile « ), indiquant que, peut-être, son infidélité ne s’arrêtera pas là. En accord avec le symbolisme plus large du conte qui voit le printemps triompher de l’hiver (May sur January), la conclusion soutient le peu d’importance de Damyan (dont le nom n’a aucun contexte saisonnier) : il n’a que deux lignes de discours direct dans le conte, et à la fin il est complètement oublié, même par le Marchand.

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