L’assassin oublié de Jules César – HISTOIRE

Le 15 mars 44 av. J.-C., un groupe de sénateurs romains a assassiné Jules César alors qu’il était assis sur le podium lors d’une réunion du sénat. Le dictateur est tombé en se vidant de son sang à cause de 23 coups de couteau, sous les yeux horrifiés du reste de la maison. C’était un peu après midi, le jour des Ides de mars, comme les Romains appelaient la mi-journée du mois. Les spectateurs ne le savaient pas encore mais ils assistaient aux dernières heures de la République romaine. Mais à qui la faute ?

Comme le savent les lecteurs de William Shakespeare, un César mourant s’est tourné vers l’un des assassins et l’a condamné dans son dernier souffle. C’était l’ami de César, Marcus Junius Brutus.

« Et tu, Brute ? » – « Toi aussi, Brutus ? », c’est ce que Shakespeare fait dire à César dans la Tragédie de Jules César. Sauf que César n’a jamais prononcé ces mots. Et Brutus n’était ni son ami le plus proche ni son plus grand traître, loin s’en faut.

Le pire traître était un autre homme : Decimus Junius Brutus Albinus. Decimus était un cousin éloigné de Marcus Brutus. Parce que Shakespeare le laisse quasiment de côté dans l’histoire, Decimus est l’assassin oublié. En fait, il était essentiel.

Shakespeare met deux hommes à la tête du complot visant à tuer César, Brutus et Gaius Cassius Longinus (celui du fameux  » regard maigre et affamé « ). Shakespeare mentionne Decimus mais orthographie mal son nom en Decius et minimise son rôle. Mais des sources anciennes souvent négligées indiquent clairement que Decimus était un chef de la conspiration.

Brutus et d’autres conspirateurs après avoir tué Jules César. (Crédit : Fototeca Gilardi/Getty Images)

Décimus était plus proche de César que ne l’était Brutus ou Cassius. En fait, ils se sont opposés à César pendant son ascension sanglante au pouvoir lors d’une guerre civile. Ce n’est que lorsqu’il a commencé à gagner la guerre qu’ils ont rallié sa cause. César a pardonné à Brutus et Cassius et les a récompensés par des fonctions politiques, mais il ne leur faisait pas confiance. Décimus était différent. Il s’est toujours battu pour César, jamais contre lui, et il a donc occupé une place dans le cercle intime de César.

Décimus appartenait à la noblesse romaine, l’étroite élite qui dirigeait à la fois Rome et un empire de dizaines de millions de personnes. Son grand-père a étendu la domination de Rome jusqu’à l’Atlantique, en Espagne. Mais le père de Decimus a eu une carrière médiocre et sa mère a tâté de la révolution. Puis César est arrivé et a offert à Decimus la chance de restaurer le nom de sa maison.

Decimus était un soldat dans l’âme, instruit mais rude et ambitieux, comme le montre la correspondance qui lui reste. « Mes soldats ont fait l’expérience de ma générosité et de mon courage », écrit Decimus. « J’ai fait la guerre contre les peuples les plus belliqueux, j’ai capturé de nombreuses forteresses et détruit de nombreux lieux. » Il a fait tout cela, écrit-il, pour impressionner ses hommes, pour servir le public et pour faire progresser sa réputation.

Décimus se réchauffe auprès de César, grand commandant et héros de guerre de surcroît. Au milieu de la vingtaine, Decimus a rejoint les forces de César qui se battaient pour ajouter la Gaule (en gros, la France et la Belgique) à l’empire de Rome. Decimus remporta une importante bataille navale au large de la Bretagne et servit avec César lors du siège d’Alésia (dans l’actuelle Bourgogne) qui scella la victoire de Rome en Gaule.

Julius Caesar assiégeant Alésia, en Gaule, 52 avant JC. (Crédit : The Print Collector/Print Collector/Getty Images)

Plus tard, ses ennemis au sénat romain ont essayé de dépouiller César du pouvoir, mais il s’est défendu. C’était la guerre civile et Decimus a choisi César. Une fois de plus, Decimus a remporté une victoire en mer, cette fois sur la côte méditerranéenne de la Gaule. César, reconnaissant, nomma Décimus gouverneur par intérim de la Gaule pendant que César partait défier ses ennemis ailleurs. Après plus de quatre ans de durs combats, César revient triomphant à Rome en 45 avant J.-C., avec Décimus à ses côtés. Pourquoi, alors, Décimus a-t-il levé un poignard contre César seulement neuf mois plus tard ?

De nombreux Romains craignaient le pouvoir que César amassait. En théorie, Rome était une république constitutionnelle. En pratique, Rome a vacillé pendant des décennies au bord de la dictature militaire. César était le premier dictateur à vie de Rome, un roi sauf de nom. Il a même pris une reine comme maîtresse, Cléopâtre d’Égypte. En mars 44 avant J.-C., elle vivait dans la villa de César, dans la banlieue de Rome. Son jeune fils est, selon elle, l’enfant illégitime de César. Tout cela était trop pour les traditionalistes romains.

Mais l’ambition plutôt que le principe politique a tourné Décimus contre César. Les lettres de Decimus suggèrent un homme qui se souciait plus de l’honneur que de la liberté. Il voulait la distinction d’un triomphe ou d’un défilé officiel de la victoire à Rome, mais César le lui refusait, bien qu’il accordât ce privilège aux généraux de moindre importance. Il ne fait aucun doute que le dictateur aimait distribuer ses faveurs lentement pour garder ses hommes sur le qui-vive. Il récompensa Décimus d’autres manières, mais l’affront n’en resta pas moins douloureux.

Et puis il y eut l’ascension du jeune petit-neveu de César, Gaius Octavius, seulement un adolescent et pas un soldat mais un politicien doué et rusé. Décimus n’a pas dû apprécier de voir Octavius le remplacer dans l’estime de César. Une autre influence possible sur Décimus était sa femme, issue d’une famille opposée à César.

En hiver 44 av. J.-C., Cassius est à l’origine de la conspiration visant à tuer César. Comme Décimus et Brutus, Cassius appartenait à la noblesse. C’est un soldat de métier, comme Décimus, mais aussi un intellectuel comme Brutus. Homme d’action, Cassius a incité Brutus à agir. Brutus n’était pas un soldat mais il était philosophe et orateur et très admiré à Rome. Décimus a également rejoint le complot, tout comme plus de 60 Romains éminents.

La mort de César, peinte par Jean-Léon Gérôme. (Crédit : Fine Art Images/Heritage Images/Getty Images)

En tant que passé maître dans l’art de l’embuscade, Cassius aurait pu imaginer le plan pour surprendre César au Sénat. Decimus, cependant, a fait tourner la roue. De tous les conspirateurs, il était le seul à avoir la confiance de César. César avait même Decimus à ses côtés lors d’un dîner la nuit précédant son assassinat. Le matin des Ides, César a soudainement décidé de ne pas se rendre à la réunion du sénat, probablement à cause des rumeurs de conspiration.

Il n’est pas tout à fait vrai qu’un devin a averti César de « se méfier des Ides de mars ! » comme le dit Shakespeare. En fait, le devin avait averti César un mois plus tôt de se méfier d’une période de 30 jours se terminant par les Ides de mars, c’est-à-dire les périodes allant du 15 février au 15 mars. Mais les Ides étaient enfin arrivées.

Lorsqu’ils apprirent que César restait chez lui, les comploteurs envoyèrent Décimus chez César pour le convaincre d’assister malgré tout à la réunion du sénat. Décimus a fait son travail. Il a fait changer d’avis le dictateur et César s’est rendu à la réunion – où il a ensuite été assassiné.

VIDEO : Jules César : Le dirigeant romain Jules César a été poignardé 23 fois par une foule de sénateurs mutinés en 44 avant J.-C. Pourrait-il avoir survécu assez longtemps pour prononcer ses célèbres derniers mots ?

Après cela, Decimus a assuré la sécurité des tueurs. Il possédait une troupe de gladiateurs qui faisaient office de police privée. Ils ont escorté les assassins en sécurité sur le Capitole et ont gardé le périmètre pendant les jours tendus qui ont suivi.

Au début, le peuple romain a soutenu les assassins en tant que défenseurs de la liberté constitutionnelle, mais ils ont changé d’avis quand ils ont vu la force des partisans de César. Décimus fait l’objet de critiques particulières car sa proximité avec César fait paraître sa trahison d’autant plus grave.

Décimus quitte bientôt Rome pour prendre la tête d’une armée dans le nord de l’Italie et défendre ce qu’il considère comme la cause de la république. Bien qu’il ait commencé fort, il a été dépassé par Octavius. Nommé héritier et fils adoptif de César dans le testament de ce dernier, Octavius s’est d’abord allié à Décimus avant de se retourner contre lui. Un an et demi après les Ides de mars, Décimus est abandonné par ses soldats, capturé par ses ennemis et exécuté. Un an plus tard, Brutus et Cassius perdent une bataille et se suicident. Octavius, en revanche, poursuivit son ascension sanglante vers le pouvoir et finit par devenir le premier empereur de Rome. Il finit par prendre le nom d’Auguste.

Si Décimus était si important dans l’assassinat de César, pourquoi n’est-il pas plus connu ? En partie parce que Brutus a monopolisé la publicité favorable. Ses amis et sa famille polissaient son image dans les publications après sa mort. Plus tard, les Romains ont considéré Brutus avec admiration et ont jeté les bases de l’éloge de Brutus par Shakespeare comme « le plus noble de tous les Romains ».

Pas comme Décimus. Contrairement à Brutus, Decimus n’était pas un orfèvre des mots, et il n’avait pas d’admirateurs ayant un flair littéraire pour raconter son histoire. Pourtant, son rôle apparaît dans certains récits antiques moins connus. Bien que Shakespeare les ait peu utilisés, ils ont survécu jusqu’à nos jours. Et c’est ainsi que les archives nous permettent de retrouver le récit de l’assassin oublié de César.

Barry Strauss enseigne l’histoire à l’université Cornell. Il est l’auteur de The Death of Caesar : the Story of History’s Most Famous Assassination.

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