L’éducation et l’allégorie de la caverne de Platon

Anam Lodhi

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21 juin, 2017 – 9 min lu

L’allégorie de la caverne est l’un des passages les plus célèbres de l’histoire de la philosophie occidentale. Il s’agit d’un court extrait du début du livre sept de l’ouvrage de Platon, La République. Platon raconte l’allégorie dans le contexte de l’éducation ; elle porte en définitive sur la nature de l’éducation philosophique et offre un aperçu de la vision de Platon sur l’éducation. Socrate est le personnage principal de La République, et il raconte l’allégorie de la caverne à Glaucon, qui est l’un des frères de Platon.

Dans le livre sept de La République, Socrate dit à Glaucon, qui est son interlocuteur, d’imaginer un groupe de prisonniers qui ont été enchaînés depuis leur enfance dans une caverne souterraine. Leurs mains, leurs pieds et leur cou sont enchaînés de telle sorte qu’ils ne peuvent pas bouger. Tout ce qu’ils peuvent voir devant eux, pendant toute leur vie, c’est la paroi arrière de la grotte. Socrate dit :

À quelque distance, derrière et plus haut, un feu brûle, et entre le feu et les prisonniers au-dessus d’eux passe une route, devant laquelle on a construit un mur-rideau, comme un écran dans les spectacles de marionnettes entre les opérateurs et leur public, au-dessus duquel ils montrent leurs marionnettes.

Il y a donc des hommes, qui passent par la passerelle et portent des objets en pierre derrière le mur-rideau, et ils émettent des sons pour accompagner les objets. Ces objets sont projetés sur la paroi arrière de la grotte pour que les prisonniers les voient. Les prisonniers inventent des noms pour les objets ; ils interprètent leur monde de manière intelligible pour eux. Ainsi, les prisonniers ont l’impression d’assister à un spectacle de marionnettes pendant toute leur vie. C’est ce que les prisonniers pensent être réel parce que c’est tout ce qu’ils ont connu ; la réalité pour eux est un spectacle de marionnettes sur le mur d’une grotte, créé par les ombres d’objets et de personnages.

Socrate poursuit en disant qu’un des prisonniers se libère d’une manière ou d’une autre de ces chaînes. Puis il est obligé de se retourner et de regarder le feu, qui représente l’illumination ; reconnaître son ignorance. La lumière du feu lui fait mal aux yeux et lui donne immédiatement envie de se retourner et de « se retirer vers les choses qu’il pouvait voir correctement, et qui lui paraissaient vraiment plus claires que celles qu’on lui montrait. » En d’autres termes, Socrate affirme que le prisonnier ne veut pas progresser dans sa façon de voir les choses et dans sa compréhension de la réalité. Cependant, après que ses yeux se sont adaptés à la lumière du feu, il est contraint, à contrecœur et avec beaucoup de difficultés, de sortir de la caverne et de s’exposer à la lumière du soleil, ce qui est un processus douloureux ; cela représente un état différent de compréhension. Platon utilise la lumière comme une métaphore de notre compréhension, et de notre capacité à concevoir la vérité. Ainsi, le prisonnier a dépassé le domaine de la lumière du feu, et entre maintenant dans le domaine de la lumière du soleil. La première chose qu’il trouve la plus facile à regarder, ce sont les ombres, puis les reflets des hommes et des objets dans l’eau, et enfin le prisonnier est capable de regarder le soleil lui-même, dont il réalise qu’il est la source des reflets. Lorsqu’il regarde enfin le soleil, il voit la vérité sur tout et commence à avoir de la peine pour ses compagnons prisonniers qui sont toujours coincés dans la grotte. Il retourne donc dans la grotte et tente de dire à ses compagnons prisonniers la vérité sur la réalité, mais les prisonniers pensent qu’il est dangereux parce qu’il est revenu et a bouleversé l’opinion conformiste de chacun. Les prisonniers ne veulent pas être libres parce qu’ils sont à l’aise dans leur propre ignorance, et ils sont hostiles aux personnes qui veulent leur donner plus d’informations. Par conséquent, Platon suggère que « votre voyage philosophique peut parfois conduire votre pensée dans des directions que la société ne soutient pas. »

L’allégorie de la caverne est une métaphore étendue et elle donne un aperçu de la vision de Platon sur l’éducation. Les gens dans la caverne nous représentent en tant que société, et Platon suggère que nous sommes les prisonniers de la caverne qui ne regardent que les ombres des choses. Cependant, la caverne représente également l’état des humains ; nous commençons tous dans la caverne. Selon Ronald Nash, Platon croyait que :

Comme les prisonniers enchaînés dans la caverne, chaque être humain perçoit un monde physique qui n’est qu’une pauvre imitation d’un monde plus réel. Mais de temps en temps, l’un des prisonniers se libère des chaînes de l’expérience des sens, se retourne et voit la lumière !

Plato utilise la caverne pour symboliser un monde physique ; un monde dans lequel les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, et où il y a beaucoup plus que ce que les gens pensent. Le monde extérieur est représenté comme le monde des idées, des pensées et de la réalité – par le monde des idées, Platon parle des formes non physiques, et du fait que ces formes non physiques représentent une réalité supérieure, plus précise. En d’autres termes, « selon Platon, nos sens ne captent que des ombres de la vraie réalité, la réalité des formes ou des idées. Cette réalité ne peut être discernée avec précision que par la raison, et non par les sens physiques. »

Le processus de progression hors de la caverne consiste à s’instruire et c’est un processus difficile ; en effet, il nécessite de l’aide et parfois de la force. Platon sous-entend ici que lorsqu’on s’instruit, il faut lutter. Il nous parle de notre lutte pour voir la vérité, et pour être des penseurs critiques. Nous voulons résister ; l’ignorance est une bénédiction à bien des égards, car la connaissance de la vérité peut être une expérience douloureuse, de sorte que, d’une certaine manière, il est plus facile d’être ignorant. La personne qui sort de la caverne remet en question ses croyances, alors que les gens dans la caverne ont simplement accepté ce qu’on leur a montré, ils n’y ont pas réfléchi et ne l’ont pas remis en question ; en d’autres termes, ils sont des observateurs passifs.

L’allégorie de la caverne nous montre la relation entre l’éducation et la vérité. Pour Platon, la fonction essentielle de l’éducation n’est pas de nous donner des vérités mais de nous disposer à la vérité. Mais toute éducation ne doit pas nécessairement porter sur la vérité. Elle peut être considérée comme un renforcement des capacités :

Un des objectifs de l’allégorie de la caverne est de montrer qu’il existe différents niveaux de conscience humaine, s’élevant de la perception des sens à une connaissance rationnelle des Formes et finalement à la plus haute connaissance de toutes, la connaissance du Bien.

Selon Platon, l’éducation consiste à voir les choses différemment. Par conséquent, comme notre conception de la vérité change, notre éducation changera aussi. Il croyait que nous avons tous la capacité d’apprendre mais que tout le monde n’a pas le désir d’apprendre ; le désir et la résistance sont importants dans l’éducation parce que vous devez être prêt à apprendre la vérité même si elle sera parfois difficile à accepter.

Les personnes qui transportaient les objets à travers la passerelle, qui projetaient des ombres sur le mur, représentent l’autorité d’aujourd’hui, comme le gouvernement, les chefs religieux, les enseignants, les médias, etc… – ils influencent les opinions des gens et déterminent les croyances et les attitudes des gens dans la société. La personne qui a forcé le prisonnier à sortir de la grotte et qui l’a guidé pourrait être interprétée comme un enseignant. Socrate compare un enseignant à une sage-femme, par exemple, une sage-femme ne donne pas naissance à la personne, cependant une sage-femme a vu beaucoup de personnes donner naissance et a coaché beaucoup de personnes à travers cela, de même, un enseignant n’obtient pas une éducation pour l’étudiant, mais peut guider les étudiants vers la vérité :

Socrate en tant qu’enseignant est un « accoucheur » qui n’enfante pas lui-même la vérité, mais qui par son questionnement amène l’apprenant à appréhender rationnellement, ou à accoucher en quelque sorte, des vérités qui étaient déjà en gestation en lui.

Donc, le maître dans l’allégorie de la caverne guidait le prisonnier de l’obscurité vers la lumière (la lumière représente la vérité) ; l’éducation consiste à voir la vérité. Platon croyait qu’il fallait avoir le désir d’apprendre de nouvelles choses ; si les gens ne désirent pas apprendre ce qui est vrai, alors on ne peut pas les forcer à apprendre. Le prisonnier devait avoir le désir et la persistance d’apprendre. De la même manière, les étudiants eux-mêmes doivent être actifs – personne ne peut obtenir une éducation pour vous ; vous devez l’obtenir par vous-même, et cela sera parfois un processus douloureux. Un enseignant peut remplir les étudiants de faits, mais c’est à l’étudiant de les comprendre. Selon Platon, le travail d’un professeur est de vous mener quelque part, et de vous faire remettre en question vos croyances afin que vous puissiez arriver à votre propre conclusion sur les choses ; ainsi, l’éducation est un voyage personnel.

Plato indique clairement que l’éducation où les étudiants reçoivent passivement des connaissances des professeurs est mauvaise. Ce que l’allégorie a montré, c’est que :

le pouvoir et la capacité d’apprendre existent déjà dans l’âme ; et que de même que l’œil était incapable de passer de l’obscurité à la lumière sans le corps tout entier, de même à l’instrument de la connaissance ne peut que par le mouvement de l’âme tout entière passer du monde du devenir à celui de l’être

Plato dit que l’éducation philosophique exige une réorientation de tout le moi ; c’est une expérience transformatrice. Pour lui, l’éducation ne consiste pas seulement à changer des idées ou à modifier certaines pratiques, c’est un processus qui transforme toute sa vie car il implique le retournement de l’âme. L’éducation est le mouvement du soi, la transformation du soi. Par exemple, pour que les prisonniers puissent apprendre, ils ne devaient pas seulement tourner la tête, mais aussi tout leur corps, ce qui incluait leur âme, et les passions dans leur esprit, pour s’éduquer.

Par conséquent, l’éducation est une transformation complète de son système de valeurs ; « elle nécessite un ‘retournement’ et une ‘ascension’ de l’âme – ce que nous pourrions appeler un éveil spirituel, ou la découverte et le suivi d’un chemin spirituel. » Par cela, Platon entend voir le monde d’une manière différente, de la manière correcte.

En conclusion, Platon semble suggérer que nous devons nous forcer à vouloir apprendre la vérité. La recherche de la connaissance n’est pas un voyage facile ; c’est une lutte, et une fois que vous voyez le monde différemment, vous ne pouvez plus revenir en arrière. Par exemple, lorsque le prisonnier s’est retourné, il a réalisé que les ombres sur le mur étaient moins réelles que les objets à l’arrière qui projetaient les ombres ; ce qu’il avait cru réel toute sa vie n’était qu’une illusion. Si le prisonnier n’avait pas remis en question ses croyances concernant les ombres sur le mur, il n’aurait jamais découvert la vérité. C’est pourquoi Platon estime que la pensée critique est essentielle dans l’éducation. Lorsque vous essayez de dire la vérité aux autres, ils ne l’accepteront pas toujours, car les gens sont souvent heureux dans leur ignorance. Dans l’allégorie de la caverne, le prisonnier devait parfois être forcé d’apprendre ; pour Platon, l’éducation, sous quelque forme que ce soit, nécessite une résistance, et avec la résistance vient la force.

D’une certaine manière, Platon manipule le lecteur car il implique que nous sommes prisonniers, cependant nous croyons que nous ne sommes pas prisonniers – cela nous donne envie d’apprendre et de chercher la vérité. Il est plus facile de ne pas se remettre en question, et de ne pas être remis en question par les autres. Il est plus facile de rester assis et de regarder le spectacle de marionnettes, sans remettre en question ses croyances. Il est difficile de se retourner, cependant les récompenses de ce voyage sont grandes, comme nous le dit l’allégorie de la caverne.

Pour Platon, l’éducation est personnelle et c’est la transition de l’obscurité à la lumière, où la lumière représente la connaissance et la vérité. Il croyait que tout le monde est capable d’apprendre, mais que tout dépend du désir de la personne d’apprendre ou non. Les gens dans la caverne devaient désirer une éducation avec tout leur corps et toute leur âme ; ainsi, l’éducation est la formation du caractère, ce qui implique le retournement de l’âme.

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Platon : La République 514b

Platon : La République 515e

Manuel Velasquez : Philosophie : Un texte avec des lectures p. 6.

Julia Annas : Une introduction à la République de Platon p. 252-253

Ronald H. Nash : Les questions ultimes de la vie : Une introduction à la philosophie p. 94.

Kenneth Allan : Théorie sociale et sociologique contemporaine : Visualiser les mondes sociaux p. 8.

Ronald H. Nash : Les questions ultimes de la vie : Une introduction à la philosophie p. 95.

Ann Ward : Socrate : Raison ou déraison comme fondement de l’identité européenne p. 171.

Platon : L’allégorie de la caverne p. 12.

Carr et al : Spiritualité, philosophie et éducation p. 98.

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