Des décennies plus tard, les avortements au Canada sont toujours difficiles à obtenir

Lorsque plusieurs États américains ont établi des lois sur l’avortement parmi les plus restrictives depuis Roe v. Wade ce printemps, des vagues de milléniaux canadiens ont pris le web. Ils ont non seulement exprimé leur indignation, mais aussi noté leur appréciation des services d’avortement légaux et accessibles du Canada. Pourtant, à partir de ces hashtags et de ces protestations publiques, il est devenu évident que de nombreux milléniaux comprennent très peu le patchwork qu’est la politique d’avortement au Canada. Pour beaucoup de ceux qui sont nés après 1988, le débat sur l’avortement a toujours été présenté comme un « problème américain », et ils supposent que le Canada a résolu le problème il y a des décennies. En réalité, de nombreuses femmes canadiennes sont confrontées aux mêmes types d’obstacles aux services d’avortement que leurs homologues américaines.

Depuis 1988, le Canada n’a pas de loi nationale sur l’avortement pour réglementer ce service médical au niveau fédéral. L’avortement est couvert par la juridiction criminelle fédérale ainsi que par les lois provinciales sur les soins de santé, ce qui le rend à la fois politiquement et constitutionnellement sensible. La dernière loi fédérale sur l’avortement a été mise en œuvre en 1969, sous l’ancien ministre de la justice Pierre Trudeau ; elle établissait des comités d’avortement thérapeutique (TAC) pour approuver les procédures individuelles dans les hôpitaux. Elle a été invalidée par la Cour suprême en 1988, dans le cadre du procès pénal intenté au Dr Henry Morgentaler, qui avait créé des cliniques indépendantes et plaidé pendant plusieurs décennies pour un accès plus large à l’avortement.

Le gouvernement de l’ancien premier ministre Brian Mulroney a présenté le projet de loi C-43, qui aurait recriminalisé l’avortement, mais il est mort à cause d’un vote nul au Sénat en 1991. Aucun gouvernement fédéral n’a proposé de nouvelle loi depuis. L’avortement est donc resté dans une zone grise politique. En l’absence de toute interdiction pénale, les services d’avortement sont laissés à l’appréciation de chaque gouvernement provincial. Comme les dirigeants fédéraux et provinciaux sont réticents à rouvrir le débat politique sur l’avortement, il en résulte des services de santé extrêmement incohérents pour les femmes canadiennes. Comme aux États-Unis, la crainte de contestations juridictionnelles et constitutionnelles a conduit des générations de politiciens canadiens à éviter de s’attaquer à l’incohérence des services et aux coûts substantiels auxquels les femmes doivent faire face lorsqu’elles tentent d’accéder à une procédure médicale qui leur a été promise il y a des décennies.

Les expériences des femmes de l’Île-du-Prince-Édouard et de l’Ontario illustrent deux des approches différentes des soins de santé génésique au Canada.

L’Île-du-Prince-Édouard est depuis longtemps un champ de bataille pour le droit à l’avortement. Bien avant la décision de la Cour suprême de 1988, l’Î.-P.-É. était connue pour ses lois restrictives en matière d’avortement, et aujourd’hui, elle compte certains des mouvements pro-vie les plus forts du Canada. En vertu de la loi précédente de 1969, l’Î.-P.-É. avait un TAC ; il a été démantelé en 1986, n’ayant approuvé aucune procédure au cours des quatre années précédentes. Entre 1986 et 2016, les résidents de l’Î.-P.-É. devaient se rendre à l’extérieur de la province pour avoir accès à des avortements dans l’un des deux hôpitaux préapprouvés des Maritimes – et à leurs propres frais jusqu’en 1996. Ce n’est que lorsqu’un groupe de défense local a intenté une action en justice que le gouvernement de l’Î.-P.-É. a accepté, en 2016, de créer une clinique gérée par la province. Pourtant, comme cette seule clinique a une capacité bien inférieure à la demande annuelle, beaucoup de femmes et de jeunes filles doivent encore payer de leur poche pour se rendre dans les provinces voisines pour avorter.

Les attitudes pro-vie fortement ancrées sont courantes dans la région atlantique du Canada, comme dans les États américains où le fondamentalisme religieux est influent. Une patiente de Nouvelle-Écosse a récemment décrit les options restreintes auxquelles les femmes de l’Atlantique sont encore confrontées lorsqu’elles veulent obtenir une procédure. Parce qu’il n’y a pas assez d’établissements opérant dans la région, l’autonomie reproductive de nombreuses femmes canadiennes continue d’être fortement politisée et sévèrement limitée.

Par comparaison, l’Ontario a été perçue comme une province plus progressiste. Même si l’Ontario a été l’un des chefs de file dans l’établissement de CTA en vertu de la loi de 1969, 46 % des hôpitaux ontariens n’avaient pas de comité et 12 des hôpitaux participants n’ont pas approuvé une seule procédure de 1969 à 1988. Même après qu’un groupe de travail commandé par le gouvernement ait rapporté en 1992 que l’accès aux services d’avortement était inadéquat, l’Ontario a fait peu d’efforts pour améliorer l’abordabilité et la disponibilité pour tous ses résidents.

Le gouvernement ontarien de Bob Rae a cherché à améliorer l’accès en 1990 en plaçant les cinq cliniques d’avortement actives à l’époque sous la Loi sur les établissements de santé indépendants, une mesure qui a rendu les avortements qui y étaient pratiqués entièrement financés. Mais aucun gouvernement ultérieur n’a cherché à modifier la loi depuis lors, de sorte que les procédures dans les cliniques créées plus récemment n’ont pas encore été entièrement payées. De plus, les 13 cliniques en activité aujourd’hui sont toutes situées dans des centres métropolitains ou à proximité, ce qui rend leurs services largement inaccessibles aux résidents du Nord. De plus, si ces établissements subissent une réduction du financement provincial, ils risquent d’être absorbés par les hôpitaux catholiques beaucoup plus grands. Par exemple, l’hôpital Wellesley de Toronto a été forcé de suspendre tous les services d’avortement en 1998 après sa fusion avec l’hôpital St. Michael, une institution catholique ; la fusion a effectivement éradiqué la possibilité de 1 000 procédures sûres chaque année.

Contrairement aux femmes de l’Î.-P.-É., les femmes de l’Ontario rencontrent rarement le débat sur l’avortement sur la scène politique, mais elles font plutôt face à des défis d’inaccessibilité géographique et financière. Dans tout le Canada, même avec l’introduction du Mifegymiso (une pilule abortive médicale qui peut être prise en dehors d’un cadre clinique), le système de soins de santé n’a pas réussi à produire les résultats souhaités en matière de confidentialité et d’accessibilité. Comme pour les avortements chirurgicaux, le Mifegymiso est encore principalement obtenu dans les cliniques urbaines ; dans les zones plus rurales, peu de patientes peuvent trouver des médecins disposés à le prescrire. Même si cette alternative médicale est disponible pour aider à atténuer les problèmes d’accessibilité dans les grandes provinces comme l’Ontario, la stigmatisation entourant les avortements au sein de la communauté médicale cause encore des obstacles importants aux services de santé reproductive pour les femmes.

L’Île-du-Prince-Édouard et l’Ontario illustrent la situation unique dans laquelle se trouve la politique canadienne en matière d’avortement depuis des décennies. Alors que les femmes d’une province ont dû se battre pour obtenir un seul fournisseur d’avortement, les résidents de l’autre ont de nombreuses cliniques, en théorie, mais la géographie et les pratiques religieuses créent des défis d’accessibilité. Partout au Canada, des obstacles d’une sorte ou d’une autre persistent. Avec très peu de cas où le gouvernement fédéral a appliqué la Loi canadienne sur la santé dans le domaine de l’avortement, les femmes canadiennes ont été laissées à elles-mêmes pour naviguer dans leur avenir reproductif.

Les femmes canadiennes et américaines ont reçu des espoirs similaires de la part de nos cours suprêmes pour des droits légitimes sur nos choix reproductifs. Des décennies plus tard, les femmes américaines se voient toujours retirer ces droits, tandis que les femmes canadiennes doivent reconnaître que les droits reproductifs ne nous ont jamais vraiment été donnés en premier lieu. En comprenant mieux où nous en sommes et comment nous en sommes arrivées là, les Canadiennes doivent s’assurer que l’avortement revienne à l’ordre du jour public. Tous les électeurs canadiens doivent demander aux candidats aux élections de cet automne comment ils s’assureront non seulement que les droits reproductifs sont renforcés, mais qu’ils sont maintenus dans chaque région et province.

Photo : 19 janvier 2019 San Francisco / CA / USA – Une participante à l’événement de la Marche des femmes tient une pancarte « Mon corps, mon choix, mon pouvoir » pendant la marche sur Market street dans le centre-ville de San Francisco. / Sundry Photography

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