Les pièces mises en scène du début de la période jacobéenne sont des produits textuels précieux pour le critique littéraire, le chercheur culturel et l’historien. Ces pièces sont d’importants récipients de connaissances sur les tensions sociales et politiques qui se renforcent mutuellement durant les premières années du règne du roi Jacques Ier. Il existe un corpus de littérature qui traite actuellement des questions relatives à la politique complexe de classe et de genre de The Duchess of Malfi (1614) de John Webster : Frank Whigham a conclu que « la pièce a été écrite, du moins en grande partie, pour disséquer le fonctionnement réel de l’idéologie normative qui nous est présentée à son début » (182) ; Sara Jayne Steen a écrit sur la mise en scène complexe des mariages interclasses par Webster et sur les réactions du public (61-76). Il existe donc une hypothèse selon laquelle l’œuvre de Webster peut être considérée comme une grande source de connaissances résiduelles sur les strates sociales changeantes de l’Angleterre du début du XVIIe siècle. De nombreux passages profonds de la pièce sont en fait la mise en scène des anxiétés de classe et de genre qui imprègnent la vie politique anglaise du début de l’époque moderne. La pièce ne se contente pas de reproduire des tensions sociopolitiques intangibles dans un espace scénique, mais utilise le langage pour refléter les anxiétés de pouvoir centrales au cœur de ces tensions en retour au public du théâtre.
En laissant de côté la question de la survie dynastique, Webster construit des conceits et des caractérisations métaphoriques qui s’efforcent de représenter et d’exposer les sources politiques, socio-économiques et sexuées de la tension sociétale. Il est important de noter que ces conceptions fonctionnent comme un dialogue hypothétique sur le remplacement potentiel de la structure sociale par un paradigme politique plus méritocratique. Dans ce modèle, les personnages de Ferdinand et du Cardinal représentent une résistance aristocratique à la mobilité des classes et au changement politique du début des temps modernes. Je soutiens dans cet article que la figure de Bosola est finalement mise en scène comme un partisan d’une tendance politique plus méritocratique. La tension politique est spatialisée sous la forme du corps féminin – en particulier dans les personnes de la duchesse et de Julia – où les craintes aristocratiques concernant la contagion de classe et l’infiltration méritocratique sont réalisées. Le langage et la caractérisation de Webster forgent un monde scénique qui reflète et renvoie aux sociétés passées et présentes certaines des plus fortes anxiétés anglaises du début de la période moderne. Je m’appuie sur des recherches antérieures dans ce domaine en lisant la pièce comme un dialogue sur une anxiété plus large concernant un changement méritocratique dans les relations sociales et la culture politique.
La pièce dans son contexte : Dynasticisme et succession Tudor – Stuart
Les anxiétés concernant la survie dynastique étaient aussi présentes dans le monde des Jacobéens que dans la cour de Malfi de Webster. Ces inquiétudes se sont accrues au fur et à mesure qu’Elisabeth Ier vieillissait. Une « tension successorale » est évidente dans les propos de Francis Bacon, qui pensait qu’il y aurait « des confusions, des interrègnes et des perturbations de l’État » après le décès de la reine (in Mosley 11). Cette insécurité dynastique a continué à imprégner la société jacobine, et peut être ressentie dans le langage de La Duchesse de Malfi. Les mots apparemment inoffensifs du marquis de Pascara sont révélateurs : « Ces factions parmi les grands hommes… quand leurs têtes sont divisées… tout le pays autour d’eux en souffre » (3.3.37-40). Nous pouvons lire les « têtes » comme une synecdoque pour les hommes qui contrôlent les affaires politiques de l’État. En ce sens, leur séparation entraîne la » pagaille » civile dans un désordre de factions politiques. Si nous élargissons notre interprétation, il y a ici une autre image figurative profonde, décrivant la séparation de la tête et de l’État par la trahison, et par extension, la division littérale de la tête du monarque et de son corps. Ces craintes se sont presque directement concrétisées dans le complot de la poudre à canon de 1605 ; Herman note que « la possibilité que presque toute la classe dirigeante soit tuée… a profondément traumatisé le roi et Londres en général » (118). La pièce est, en termes culturels, un produit de la peur constante de l’instabilité politique, une peur qui encadre clairement les préoccupations dynastiques et aristocratiques de son intrigue.
Ces préoccupations étaient sous-tendues par des questions de valeur et de mérite personnels dans la vie publique jacobine. Ces questions touchaient au cœur des couches sociales jacobéennes, que Stockard décrit comme « une culture hiérarchiquement ordonnée subissant des altérations intensément ressenties » (91). Le roi Jacques était lui-même sujet à des interprétations divergentes sur la nature de l’autorité et la transmission du pouvoir dynastique. Kanemura nous apprend que les débats sur le statut de Jacques en tant que roi élu ou héréditaire se poursuivaient à la Chambre des communes jusqu’en 1614 (317-318). Ces débats trahissent une préoccupation pour la tension entre l’autorité héréditaire et l’autorité méritoire, dans un monde préoccupé par la question de « la détermination de l’identité et du mérite personnel à la cour » (196). La stabilité de la cour était également menacée par les préoccupations relatives au genre et au mariage, qui ont été mises en évidence lors de la crise déclenchée par Arbella Stuart au début des années 1610. Dans un parallèle frappant avec la duchesse de Webster, le mariage de Stuart est critiqué par le roi pour sa transgression de classe, et James craint que Stuart ne produise un enfant qui « pourrait contester la succession » (Steen 67). Les tensions sur la classe, le sexe, le mérite personnel et la survie dynastique étaient toutes centrales à la royauté jacobéenne.
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Ces préoccupations contextuelles sont centrales dans le cadrage de la pièce par Webster. Sa propre dédicace au Très Honorable George Berkeley est révélatrice, car il rejette la » noblesse la plus ancienne » du baron comme » mais une relique du temps passé » (105). Dans un couplet élogieux, Thomas Middleton élabore une métaphore méritocratique similaire:
Pour chaque homme digne
est son propre marbre, et son mérite peut
le tailler à n’importe quelle figure… (dans Webster 106).
Lorsque Webster présente l’aristocratie comme anachronique, Middleton métaphorise en fait un paradigme méritocratique à adopter à sa place. Concevant l’homme comme du marbre, il suggère avec grandeur que la hauteur de la grandeur de l’homme devrait être déterminée par les formes et les actions qu’il choisit pour lui-même. Avant même sa mise en scène, les caractéristiques paratextuelles de la pièce de Webster la présentent comme intrinsèquement concernée par une dichotomie réelle ou perçue entre le dynastisme et la méritocratie.
La mise en scène de Dynasty
Au début de la pièce, la démarcation entre le dynastisme et la méritocratie est profondément floue. Delio et Antonio signalent au public les questions de corruption et de vertu dans la vie de cour, en utilisant la cour française comme un cadre théâtral sur lequel déplacer les anxiétés qui étaient de nature anglaise. Antonio réfléchit ainsi sur la cour de France :
En cherchant à réduire à la fois l’État et le peuple
à un ordre fixe, leur judicieux roi
Commence chez lui : quitte d’abord son palais royal
De flagorneurs, de dissolus
et d’infâmes… (1.1.5 – 9).
Ce passage démontre une volonté de la part du souverain français mis en scène de débarrasser sa cour de la corruption rampante. Et pourtant, notre compréhension de la sémantique des mots « ordre fixe » est tout sauf établie. Dans la mesure où il cherche à réparer l’intégrité corrompue et corrodée de sa cour, le roi recherche un « ordre fixe » qui pourrait être considéré comme méritocratique. Le lexique du passage se prête à une telle interprétation, les « flatteurs » et les « infâmes » étant considérés comme l’incarnation des périls de la vie de cour. Ceci étant dit, nous pouvons également lire ce passage comme un acte d’auto-préservation dynastique. En cherchant à réduire l’État et le peuple à un « ordre fixe », le roi solidifie et renforce une position dynastique existante, expulsant ce faisant la menace sycophante. Le roi français cherche à durcir les couches sociales – la rigidité forcée d’une société de classes héréditaires – et, ce faisant, il empêche fondamentalement la cour de devenir le lieu de la méritocratie. Bien que la dichotomie dynastique-meritocratique ait été mal délimitée, la pièce elle-même commence par un exemple de ces idéaux en tension l’un avec l’autre.
La méritocratie comme mobilité ascendante
Dans la mise en scène de la tension susmentionnée, Bosola est un personnage central. Malgré, ou plutôt en dépit de sa période de servitude à Ferdinand, Bosola exprime son mépris pour l’autoconservation dogmatique de l’aristocratie. Dans un premier passage très riche, il décrit les frères comme » des pruniers qui poussent de travers au-dessus des étangs » (1.1.47-48). En une courte et percutante comparaison, Webster exprime magnifiquement la stagnation sociale de la cour de Malfi, avec les figures corrompues et malveillantes de Ferdinand et du cardinal qui se profilent au-dessus, d’où le terme » de travers « . Andrea Henderson a interprété ce passage en termes plus larges comme « une critique de la rupture du lien entre le gouvernant et le gouverné » (202). Par ailleurs, il semblerait qu’il critique plus fortement la relation entre le souverain et l’aristocratie, une relation corruptrice et flagorneuse. Même sans l’hypothèse d’une vertu ou d’un mérite réel de la part de Bosola, ce passage suggère une qualité stagnante à propos de la cour, une qualité que la mobilité sociale ascendante diffuserait et potentiellement disperserait.
Plus que de simples râles contre l’aristocratie, le dialogue de Bosola met en avant sa croyance dans les mérites des classes inférieures. Dans le contexte de ses actions trompeuses à l’acte 3, il demande rhétoriquement à la duchesse si l’époque » préfère vraiment / un homme simplement pour sa valeur, sans ces ombres / de richesse et d’honneurs peints ? » (3.2.78-81). Il s’agit en partie d’une simple rhétorique, inventée par Bosola dans le but de tromper la duchesse. Malgré la tromperie, son dialogue trahit en fait un accent inhérent sur le mérite et la vertu. Dans un moment touchant de monologue réflexif, il affirme « Un politicien est l’enclume matelassée du diable » (3.2.325). Métaphore apparemment bizarre, ce passage suggère que Bosola regrette d’avoir à manier une rhétorique fallacieuse à des fins cruelles. Il s’identifie personnellement à l’enclume matelassée du diable de Ferdinand, utilisée avec de mauvaises intentions, mais souhaitant au contraire que ses paroles creuses puissent être prononcées en vue d’un résultat plus vertueux. Le dialogue de Bosola crée donc l’espace textuel et scénique pour théoriser et exprimer le désir d’un mode d’interactivité socio-politique plus vertueux, d’un paradigme anglais plus méritoire.
Ces sentiments de classe inférieure vont à l’encontre de l’anxiété hautement consciente de la classe de Ferdinand et du Cardinal. Leur langage même témoigne d’une hostilité envers l’idée de méritocratie comme mobilité sociale ascendante. Se référant à des études antérieures, Henderson suggère que la question de l’identité de Ferdinand « n’est pas une question simple » (197). Je conteste ici cette affirmation, au motif que les deux frères expriment la centralité absolue de l’aristocratie dans leur identité. Leurs attaques contre la notion de » mérite » mettent également en scène cette identité. Les premiers mots du Cardinal à Bosola dans l’Acte 1 sont pertinents ; il déclare sans ambages, « vous faites trop valoir votre mérite » (1.1.33). En ce qui concerne le « mérite », il y a ici une ironie critique, car le public percevra que les actions ultérieures de Bosola sont bien plus vertueuses et vaillantes que celles du Cardinal, et pourtant ce dernier cherche à déprécier ce « mérite » en faveur du privilège héréditaire. Le terme « enforce » est essentiel, car bien que les éditeurs suggèrent de le lire comme « urge » (Weis 388), le terme aurait possédé une qualité d’autorité au début de la période moderne comme à notre époque. Dans le contexte de l’acte 1, cette nuance fait que le public perçoit un désaccord de classe sur la nature du pouvoir socio-politique. Le Cardinal est préoccupé par le fait que Bosola » impose » son propre mérite parce que cela remet fondamentalement en question la validité de sa propre autorité, qui repose sur un privilège héréditaire et un parrainage institutionnel plutôt que sur une quelconque vertu de caractère. Le Cardinal représente la plus forte source d’hostilité et d’anxiété à l’égard du paradigme méritocratique dans ce texte, et son identité de classe très consciente est communiquée ce faisant. Il est important de noter que Webster lui-même a chevauché ces distinctions de classe en présentant la pièce au public de l’élite de Blackfriars ainsi qu’à celui du Globe, suggérant qu’elle « offrait quelque chose à la fois aux spectateurs ‘élevés’ et ‘bas' » (Pandey 272). Les Londoniens aristocrates et ordinaires étaient tous deux exposés au clivage dynastie-méritocratie de Webster mis en scène dans The Duchess of Malfi.
La féminité : L’espace de la contestation de classe
Le mécanisme sur lequel s’articule la menace méritocratique sur la structure sociale est figuré dans cette pièce comme la » féminité « . Webster construit la féminité comme un outil de mobilité de classe, et donc comme un espace d’extrême anxiété pour l’aristocratie. La mise en scène du mariage de la duchesse est cruciale à cet égard. Dans un geste dramatiquement symbolique, la duchesse place son alliance au doigt d’Antonio. En tant que symbole, l’anneau connote la connectivité maritale et la consommation sexuelle. Après s’être agenouillée, elle demande à Antonio de se lever en disant « ma main pour vous aider… ». (1.1.409). (1.1.409). L’anneau et la main sont des concepts évidents du mariage, tant au sens figuré que littéral. Pourtant, le langage qui les entoure aspire à faire plus qu’unir le couple par le mariage. La duchesse remet la bague à Antonio avec cette intention : « pour aider votre vue » (1.1.399). De même, avant de le » lever « , la duchesse dit à Antonio : » Ce beau toit qui est le vôtre est trop bas, je ne peux m’y tenir debout » (1.1.406-7). Les nuances sémiotiques visent ici à mettre en parallèle la condition la plus basse d’Antonio et celle de sa future épouse. La remise de l’anneau n’a pas pour but d’améliorer la » vue « , mais d’élargir la vision d’Antonio, sa largeur et sa portée sur le monde d’un point de vue aristocratique. De même, le geste de » lever » n’est pas un simple octroi de la main en mariage, mais un discours performatif et un acte scénique de mobilité sociale ascendante. En déclarant que sa grandeur » ne peut tenir debout » sur le toit métaphorique de l’existence de classe d’Antonio, la duchesse lui propose la solution la plus logique : l’élever à son propre statut, afin qu’ils puissent se tenir » debout » ensemble en tant qu’égaux aristocratiques. Dans ses métaphores, sa symbologie et son lexique, cette scène incarne la fonction du mariage comme mécanisme de mobilité ascendante dans La Duchesse de Malfi, et dans l’Angleterre jacobine par extension.
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L’ascension de personnages méritants par le mariage a déclenché les angoisses dynastiques des types Ferdinand et Cardinal. Dans le prisme de ce dynastisme, la féminité est perçue comme un lieu politiquement instable où se joue la contestation de classe. Comme l’a écrit Stockard, la « recherche des mécanismes de la violence de classe situe facilement la sœur comme le site vulnérable… ». (92). Considérez les sentiments du cardinal dans sa discussion avec la duchesse au premier acte : il affirme que l’amour d’un veuf » ne dure pas plus longtemps / Que le tour d’un sablier ; le sermon funèbre / Et lui, finissent tous deux ensemble » (1.1.294-6). Cette comparaison, avec le sablier comme véhicule et l’amour du veuf comme référent malveillant, est au cœur de l’anxiété du cardinal concernant la duchesse en tant que « site » de vulnérabilité dynastique potentielle. La mort du mari équivaut donc à la naissance d’une instabilité socio-politique dans la personne de la duchesse.
Dans le dialogue de Ferdinand, le corps sexuel féminin est réimaginé comme la collision physique de l’anxiété de classe et de genre. Steen a noté que les réponses critiques traditionnelles à la pièce percevaient la sexualité féminine comme une menace pour « l’ordre social » (61). Ces réponses s’appuient sur des passages tels que le suivant, dans lequel Ferdinand envisage que la duchesse copule avec :
Un marinier aux fortes cuisses,
ou un de la cour à bois, qui peut quiter le traîneau,
ou lancer la barre, ou encore un charmant écuyer
qui porte des charbons jusqu’à son logement privé (2.5.42-45).
Ce langage est aussi chargé sexuellement qu’il est férocement colérique, le double sens aidant à superposer les questions d’intégrité féminine aux angoisses dynastiques. L’homme de la « cour à bois » a des qualités phalliques mal dissimulées, tandis que le charbonnier est manifestement en train « d’attiser le feu de la duchesse », par euphémisme. La qualité la plus importante de ces hommes, cependant, est leur statut socio-économique. Le marinier, en tant que membre de la classe mercantile croissante, aurait certainement attiré le mépris de l’aristocratie. Ces hommes sont les vecteurs de la contagion de la classe inférieure que l’on craignait de voir se transmettre par les liaisons sexuelles.
Le danger de la sexualité féminine pour l’aristocratie est sous-tendu par le trope du cocu. Dans cette optique, le cardinal présente la duchesse comme infidèle et déloyale lorsqu’il dit que l’amour du veuf meurt souvent avec le sablier. Le véritable cocufieur, cependant, qui représente une menace marquée pour l’autorité masculine dans la pièce est Julia. Lorsqu’elle aperçoit pour la première fois Bosola, Julia s’exclame : « Quelle forme excellente a ce type ! » (5.2.19). La pièce centrale de la fragilité féminine repose sur l’hypothèse même que la fidélité des femmes est mise en péril par la seule » forme » exquise de l’homme. La superficialité de Julia est présentée comme une farce, mais les parallèles entre elle et la duchesse ne doivent pas être négligés ; toutes deux sont condamnées par le cardinal pour leur indépendance sexuelle (potentielle), toutes deux sont qualifiées de « catin », et surtout, toutes deux sont considérées comme reniant leur devoir de loyauté envers un autre homme. En effet, Julia est mise en scène comme un boulet à la fois pour son mari Castruccio et pour son séducteur le Cardinal : Pescara s’exclame devant Delio que la terre que Julia poursuit dans le dernier acte est » due à une prostituée, car c’est une injustice » (5.1.46). Le terme ‘injustice’ implique un compromis sur l’acte de propriété de la terre d’Antonio, la causalité de ce compromis étant l’immoralité de la relation sexuelle du Cardinal avec Julia. Bien sûr, l’emploi du terme « strumpet » émascule également le mari de Julia par défaut. L’emploi par Webster du trope cocu renforce la capacité des personnages féminins de la pièce à saper et à menacer l’intégrité de leurs associés masculins dynastiques.
À travers le langage, Webster met en scène un hypothétique contenant de la menace de classe. Balizet a soutenu que les conceptions linguistiques médicales et physiciennes de Ferdinand façonnent une répression physique de l' »infection » de classe perçue (31-32). Je souhaite approfondir cet argument en réfléchissant à la signification de la présentation de la main d’Antonio à la duchesse pendant son emprisonnement. Après avoir donné à la duchesse une main coupée, Ferdinand nous dit qu’elle n’est qu’une « plaie de l’art » (4.1.111). Son art est conçu pour communiquer une « coupure » du conduit par lequel sa sœur a été infectée par un statut inférieur. L’acte de mariage, symbolisé par le placement de la bague au doigt d’Antonio dans l’acte 1, est considéré par Ferdinand comme « un affront à la pureté de la classe » (Stockard 96), et il utilise donc la main morte comme un dispositif sémiotique par lequel « délier, dissocier, sa sœur d’une union maritale qu’il n’approuvera pas » (Tricomi 355). Il est important de noter que la main est un symbole important du contact physique que nécessite l’acte sexuel, et donc par lequel le sang royal est « souillé » selon les termes de Cardinal. Sa prétendue coupure met donc en scène une autre des métaphores cautérisantes de Ferdinand, une mesure préventive pour arrêter la propagation de l’infection de classe.
Conclusion
Dans le contexte des monarchies élisabéthaines et jacobéennes, les questions de survie dynastique et de suprématie aristocratique n’étaient jamais loin du premier plan dans l’esprit de nombreux citoyens. Dans The Duchess of Malfi de Webster, les spectateurs du début de l’ère moderne se sont vus présenter une hypothèse concernant les formes de menaces potentielles à un tel ordre dynastique, ainsi que des spéculations sur le cadre méritocratique qui aurait pu le remplacer. Comme nous l’avons vu, une grande partie du langage et de la mise en scène de ce texte dépend d’une tension inhérente entre ces idéaux méritocratiques et dynastiques, une tension qui a donné lieu à des conceptions métaphoriques qui rivalisent de beauté avec Shakespeare. Sur la seule scène en carton plat, Webster parvient à envisager non seulement le potentiel de mobilité ascendante de la classe, en particulier sous la forme d’Antonio et de Bosola, mais aussi les réactions naturelles de l’aristocratie. L’accent thématique mis sur le sexe, le mariage et la fragilité des femmes fait en sorte que celles-ci deviennent le lieu ultime où se joue la contestation de cette survie dynastique. En fin de compte, nous ne pouvons pas déclarer avec certitude si Webster se voyait ou non utiliser la scène pour créer un monde plus méritocratique, mais ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que son texte témoigne des tensions dynastiques de l’époque, et des angoisses classistes et genrées qui la sous-tendent.
Mosely, C. W. R. D. English Renaissance Drama : Une introduction au théâtre et aux théâtres à l’époque de Shakespeare. Penrith : Humanities E-Books, 2007.
Pandey, Nandini B. ‘Medea’s Fractured Self on the Jacobean Stage : Webster’s Duchess of Malfi as a Case Study in Renaissance Readership’. Journal international de la tradition classique, vol. 22, no. 3 (2015), pp. 267-303.
Stockard, Emily. ‘Violent Brothers, Deadly Antifeminism, and Social Suicide in The Revenger’s Tragedy and The Duchess of Malfi’. Renaissance Papers, édité par Jim Peace et Ward J. Risvold, Camden House, 2016, pp. 91-102.
Webster, John. La duchesse de Malfi, et autres pièces de théâtre. Oxford : Oxford University Press, 2009 .
Whigham, Frank. ‘Mobilité sexuelle et sociale dans La duchesse de Malfi’. PMLA, vol. 100, no. 2 (1985), pp. 167 – 186.