L’Assemblée nationale renonce à tous les privilèges
L’accueil d’un marquis en enfer
L’aristocratie écrasée. Aristocratie
Départ des Trois Ordres pour Versailles
Abuses. pour supprimer
Citoyen actif/citoyen passif
Madame Sans-Culotte
La Bonne Sans-Culotte
Intérieur d’un comité révolutionnaire pendant le règne de la Terreur
Président d’un comité révolutionnaire se distrayant avec son art pendant qu’il attend. Il se distrait avec son art en attendant
Président d’un comité révolutionnaire après le retrait du sceau
Un démocrate, ou Raison et philosophie
Les armes des radicaux
Le tiers état mariant des prêtres avec des religieuses
Moines apprenant à faire de l’exercice
Au delà de la salle de réunion des députés à Versailles, une autre sorte d’agitation sociale couvait dans les campagnes. Après avoir entendu parler de la prise de la Bastille, les paysans ont décidé qu’ils pouvaient, eux aussi, faire pression pour un changement social par des actions drastiques. Au cours de l’été 1789, des centaines de milliers de personnes se mobilisent pour attaquer les manoirs des seigneurs et détruire les symboles amers de la seigneurie : girouettes, murs de protection et surtout actes de propriété énonçant les droits féodaux que les paysans étaient tenus de payer au seigneur. Lorsque la nouvelle de cette agitation rurale parvient à l’Assemblée nationale de Paris, nouvellement rebaptisée, ses députés, se sentant obligés de suivre les événements dans les campagnes, réagissent en annonçant « l’abolition de la féodalité ». Leurs décrets du 4 août représentent le premier pas vers la destruction de la base théorique du système de privilèges de l’ancien régime. Dans l’année, l’assemblée supprimera tout le concept de noblesse, déclenchant une vigoureuse campagne de propagande anti-noble dans la presse.
Les ouvriers des villes, eux aussi, trouvèrent l’occasion d’exprimer leur mécontentement, à travers les élections aux États généraux. Les élections se déroulaient sous la forme de réunions de quartier, au cours desquelles les participants désignaient collectivement un représentant et compilaient des cahiers de doléance à présenter au roi, qui les communiquait pour orienter les représentants. Beaucoup de ces pétitions expriment une opposition aux privilèges des nobles et des titulaires de charges. Les décrets de l’Assemblée nationale d’août 1789 contre les privilèges – qui avaient été la pièce maîtresse de l’ordre social français – ont sans doute été acclamés par la populace.
Pour toute son importance, cependant, l’élimination des privilèges n’a pas mis fin aux conflits sociaux sous-jacents à la Révolution. Au contraire, elle a marqué le début d’un autre système de distinctions sociales, énoncé dans une nouvelle constitution introduite par l’Assemblée nationale. La plus notable de ces distinctions est la distinction entre les citoyens « actifs », qui ont le droit de voter et d’exercer des fonctions, et les citoyens « passifs », qui sont soumis aux mêmes lois mais ne peuvent ni voter ni exercer de fonctions. L’appartenance à l’une ou l’autre classe est déterminée par le niveau de revenu, le sexe, la race, la religion et la profession. Avec la loi Le Chapelier de 1791, l’Assemblée nationale différencie encore davantage les ouvriers des propriétaires et interdit les associations ouvrières comme nuisibles à l’unité nationale.
L’Assemblée nationale ne semblait pas disposée à accorder aux ouvriers une pleine participation politique et sociale dans la nouvelle société. Une des raisons de cette réticence était la crainte généralisée de nouveaux troubles. Une autre raison était la forte croyance, parmi les porte-parole des Lumières, que seuls ceux qui avaient un intérêt dans la société pouvaient être sûrs de faire preuve de raison ou de penser par eux-mêmes. En outre, de nombreux révolutionnaires réformateurs ont fait valoir que les « combinaisons » fondées sur l’économie et formées par les travailleurs ressemblaient trop à des guildes d’entreprise et empiéteraient sur la liberté de l’individu.
Quels que soient les motifs de l’assemblée, ses actions ont rencontré une forte opposition. Les ouvriers ne sont pas des traditionalistes indignes de confiance ou rétrogrades, rétorquent-ils, mais des citoyens travailleurs, simples et honnêtes, contrairement aux riches efféminés et « féminisés ». S’appelant eux-mêmes sans-culottes pour indiquer qu’ils portaient des pantalons et non des culottes aux genoux (un symbole de luxe), ils glorifiaient l’action directe, la force, la candeur et le patriotisme, des idéaux que les journalistes radicaux associaient au travail artisanal et trouvaient absents de la seule propriété. Le fait que des radicaux comme Elisée Loustallot, Jacques Roux et Jacques-Réné Hébert étaient des hommes instruits qui ne travaillaient pas exactement de leurs mains pour gagner leur vie a amené certains à se demander si leurs discussions sur les sans-culottes exprimaient les idées des travailleurs eux-mêmes. De plus, on peut se demander si les opinions associées aux sans-culottes s’étendent bien au-delà de Paris. Quoi qu’il en soit, le concept de sans-culotte prend une importance politique croissante, car les autorités y voient le véritable travailleur. Ainsi, l’utilisation du sans-culotte dans la rhétorique radicale a conduit les contemporains à croire que les riches et les pauvres étaient en conflit tout au long de la Révolution. L’influence de cette perception sur le cours des événements révolutionnaires peut être observée dans le cas de Gracchus Babeuf. Avant la Révolution, Babeuf avait été un agent des seigneurs seigneuriaux, mais après 1789, il fut de plus en plus attiré par l’idée d’un égalitarisme social et politique. En 1795, il est à la tête d’une conspiration, bien que ses objectifs et ses plans restent vagues. Néanmoins, les autorités politiques s’inquiètent de la guerre des classes ; elles le considèrent comme un dangereux révolutionnaire égalitaire et l’arrêtent. Lors de son procès, Babeuf a livré une attaque inspirée contre la propriété privée et a approuvé un système de partage des biens que beaucoup considèrent comme un précurseur du socialisme.
Dans les zones rurales, les clivages sociaux étaient aussi profondément ancrés que dans les villes. Les paysans, dans leurs listes de doléances de 1789, exprimaient leur hostilité envers les nobles propriétaires terriens ; et, comme nous l’avons déjà noté, cette hostilité s’est intensifiée après le Jour de la Bastille. De juillet à septembre 1789, la nouvelle des décisions de l’Assemblée nationale et des révoltes populaires à Paris et dans d’autres villes se répand dans les campagnes françaises. La rumeur court également que des nobles effrayés envoient des groupes de « brigands » armés pour brûler les champs, voler les récoltes et attaquer les villages afin de contenir la paysannerie en ce moment de crise. Propulsés par ce que l’on a appelé « la grande peur », les paysans de diverses régions de France ont pris les choses en main, formant des groupes armés pour défendre leurs champs et leurs villages. Les décrets du 4 août, en grande partie une réponse à ce bouleversement, ont d’abord calmé les campagnes et ont bientôt cimenté les paysans à la cause révolutionnaire.
Comme les ouvriers et les petits propriétaires des villes, les paysans ont remis en question l’accord conclu par l’Assemblée nationale en 1791. Cependant, contrairement aux artisans parisiens, qui ont commencé à réclamer une révolution de plus grande envergure en 1792-94, un grand nombre de cultivateurs aspiraient à un retour à la stabilité dans leurs villages. Pour la paysannerie, la principale cause d’instabilité pendant la Révolution est la Constitution civile du clergé de 1790. La Constitution civile, comme la Révolution elle-même, trouve son origine dans la crise fiscale que l’Assemblée nationale a héritée de la couronne. Ayant besoin de revenus substantiels, l’Assemblée s’attaque aux terres de l’Église, qui représentent 10 % de la richesse foncière de la France. Le législateur dépossède l’église de ses biens et, en échange, prend en charge ses dépenses et son administration. Les révolutionnaires, imprégnés de la critique de la religion catholique par les Lumières, soupçonnent les évêques et les archevêques de résister à tout changement. Pour s’assurer de la loyauté des curés, l’assemblée (dont les prêtres sont désormais les employés) ajoute à la Constitution civile l’obligation pour tout le clergé de prêter un serment d’allégeance à la nation. Cependant, près de la moitié d’entre eux refusent de le faire. Comme la plupart des « prêtres réfractaires » (ceux qui ont refusé le serment) vivaient à la campagne, la Constitution civile – conçue pour promouvoir l’unité nationale et empêcher la religion de devenir une source de résistance à la Révolution – a plutôt suscité un ressentiment considérable au sein de la paysannerie. Ce ressentiment s’accroît avec le décret du 9 mars 1792, autorisant la confiscation des grains pour éviter la « thésaurisation ». Le chapitre 7 montre comment cette hostilité précoce s’est transformée en une contre-révolution armée.
Donc, dans les villes comme dans les campagnes, il semblait que la Révolution ne produisait pas les résultats espérés. Au lieu d’apporter l’unité et une résolution rapide et politique aux questions de 1789, comme le souhaitaient ses initiateurs, la Révolution produisait de nouveaux conflits. Que s’est-il passé ? Les révolutionnaires en attendaient-ils trop ? La faute en revient-elle à la nouvelle élite politique, qui a exclu les classes inférieures des perspectives optimistes de changement ? Ou bien les dirigeants, malgré leur engagement en faveur de l’égalité sociale, ont-ils trouvé impossible d’éviter de faire de la propriété privée (et des différences de richesse qu’elle génère nécessairement) la pierre angulaire de la nouvelle société ? Les événements des années 1790 n’ont pas permis à la France de déterminer comment et si l’égalité sociale pouvait être atteinte par des mesures politiques. Cette question continue de perturber la société moderne, bien après que les tensions sociales de 1789 aient disparu dans les poubelles de l’histoire. En effet, elle reste l’un des héritages les plus vibrants de la Révolution française.